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Écrits de Marc Hodges
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17 novembre 2014

vivre d’illusions

Le bonheur étant tout d’intérieur, on peut vivre d’illusions un certain temps et s’en satisfaire : je dois avouer que cette première communion — bien que, dès cette époque, je me savais profondément athée — fut une période de félicité. Pendant près de deux mois je fus au centre des attentions car il fallait m’habiller de pied en cap ce qui permit à ma mère de se livrer à sa vague religiosité d’habitude brimée par l’anticléricalisme radical de mon père. Cette occupation lui permettait d’atténuer la solitude dans laquelle elle vivait depuis qu’elle avait quitté son village natal pour ce qui lui apparaissait être la ville où elle ne connaissait personne. Il fallait faire le tour des commerçants pour acheter, en les choisissant avec un soin extrême tous les signes du rituel : le brassard et son nœud de soie blanche aux parements de dentelle, signe, sinon de ma virginité réelle, de celle supposée au moment où j’affirmais publiquement entrer dans cette communauté chrétienne qui, de fait, m’était indifférente ; la croix d’or — ou dorée, je ne m’en souviens pas bien car je n’attachais pas à ce détail matériel une grande importance qui, avec son nœud devait s’épingler à la pochette de mon tout nouveau costume gris souris ; tout devait être neuf, des sous-vêtements de coton blanc à la chemise brodée de mon nom, en passant par la cravate de soie blanche et les chaussures de daim du même gris que celui du costume. J’ai retrouvé dans mes nombreuses boîtes de photographie, une photo de cet événement où je pose entouré de ma sœur Andrée, alors âgée de 10 ans, et de Robert, mon frère alors âgé de 7 ans, tous deux en habits neufs quoique moins solennels que le mien. Tous trois nous sourions mais il me semble que nos sourires expriment des sentiments différents : ma sœur semble fière et son sourire est épanoui, mon frère — comme à son habitude — révèle, par son sourire timide et ses yeux légèrement tournés vers le ciel, sa grande douceur et son extrême gentillesse. Quant à moi, il me semble que mon sourire est plus ambiguë, à la limite du mépris, bouche serrée, regard fixant sans aucun doute le photographe dans les yeux comme si je défiais le monde, de ma main droite posée sur les épaules de mon frère je l’assure de ma protection affirmant dans le même temps ma supériorité.

J’étais alors en quatrième et, avec mes deux ans d’avance, j’étais persuadé que le monde m’appartenait : j’avais toujours les notes les meilleures et me piquais au jeu m’efforçant à dévorer des livres qui n’étaient pas de mon âge. Alors que la plupart de mes camarades se plongeaient dans la collection « Signe de piste », qui exaltait la virilité adolescente avec ses couvertures de splendides garçons virils aux cheveux blonds, ou la « bibliothèque rouge et or », j’affectais, à la grande fierté de mon père qui m’encourageait à ça, de ne lire que des œuvres de Victor Hugo, Diderot, Voltaire, Lamartine, Genevoix et autres « grands auteurs » dont je ne manquais pas, à la moindre occasion, de faire étalage dans les cours de français stimulé par mon professeur d’alors qui se laissait duper avec délectation par ce gamin-singe savant débitant des références et des citations comme d’autres des blagues graveleuses. Je me persuadais ainsi lentement, comme d’autres s’accoutument à petites doses à un poison qui leur devient ensuite indispensable, que la littérature serait mon avenir.

C’est ainsi que j’entamais plusieurs recueils de poème, plusieurs nouvelles et, rapidement, un premier roman, ébauche très maladroite du récit que Marc Hodges publiera plus tard sous le titre El Che.

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