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Écrits de Marc Hodges
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8 décembre 2007

Histoire de l'instituteur (7)

Le vacarme du soldat allemand eût pour effet de tirer brutalement Joseph de l’espèce de rêvasserie molle dans laquelle il se complaisait, ce qui le mit fort en courroux. Pourtant, la vue de ce grand épouvantail de paille sèche s’agitant en tous sens comme mu par un vent fou, hurlant des propos incompréhensibles et chassant les troupeaux de nuages dans un tintamarre de fête foraine, brisant parfois, comme pipes de terre, quelques rameaux pour en menacer des oiseaux inaccessibles, lui fut un spectacle si burlesque qu’il éclata de rire. Cette réaction ne fut pas du goût de notre conquérant. Essouflé, rouge de colère et de honte, arme à la main, il s’avança vers lui hurlant un «Du Schwein, komst hier, schnell!» que le brave garçon ne comprit pas. Le reitre se fit alors menaçant, brandissant en tous sens une escopette devenue fort dangereuse, ce que voyant, Joseph lui expédia rapidement de sa fourche une bonne goulée de fumier suivie d’un coup brutal sur le bras qui fit tomber l’arme dérisoire. Le teuton gueulait comme porc qu’on saigne, effrayant tout le voisinage mais, surtout, comme ces animaux ne voyagent qu’en troupe, ameutant ses compagnons dispersés dans la campagne environnante, l’un par besoin de pisser, l’autre par désir d’un jeune berger, l’autre encore d’une bergère, l’autre enfin pour cajoler un compagnon d’armes. Ils accoururent de toutes parts, reboutonnant leur dignité et hurlant comme loups. Voyant cela, Joseph fit retraite prudente dans les taillis où ils s’élancèrent à sa poursuite, se dispersant dans l’espoir de le mener à battue.

Joseph enfourcha le premier de dos, entre dorsales et lombaires, avant même qu’il ait eu le temps de se retourner, ébahi, yeux écarquillés de mourir si vite dans un grand flot de sang. Alors le jeune paysan saisit la pétoire du mort pour tirer en l’air un grand coup à seule fin d’attirer d’autres alouettes de même acabit. Ce qui ne tarda pas. Et tandis qu’un second se baissait pour examiner son camarade occis, il lui lança du haut de l’arbre où il s’était posté, sa fourche au défaut du casque, à la base du cou, l’épinglant comme papillon à son camarade. C’était déjà un beau tableau de chasse. Le temps d’étrangler un troisième, décerveler proprement un quatrième à la baïonnette, éventrer un autre, étriper, décapiter, assommer, foudroyer, briser, écrafouiller, écrabouiller, empapaouter quelques autres encore, Joseph se retira dignement sans reprendre sa fourche pour poursuivre son travail interrompu…

Huelgoat le 5 juillet 1964

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