Exploration nocturne

J’ai descendu l’allée du manoir: le crissement du gravier sous mes pas me semblait dangereusement sonore et j’ai choisi de marcher dans le sous-bois. L’herbe y était légèrement humide. Je ne sais quel est l’animal qui s’est enfui à mon passage dans son froissement d’herbe, me faisant sursauter, provoquant en moi une agréable, même si ténue, impression de frayeur… Je n’ai pas cherché à savoir. Si j’avais essayé, je ne l’aurais pas su non plus et ce n’était pas l’essentiel. L’essentiel était que j’avais un peu le sentiment d’accomplir une action audacieuse comme lorsque je me penche au-dessus d’une falaise et que mère (qui prétend «avoir le vertige») crie : «Cupidon, ne faites pas ça, vous me faites peur!». De fait, j’aime bien lui faire peur. J’aime bien aussi me faire peur, surtout lorsque je suis sûr de ne prendre aucun risque… C’était le cas. Dans ces moments-là je me sens vivre et ce n’est pas une sensation si courante pour que je la gaspille.

J’ai franchi les limites du parc par la première brèche, à gauche de la maison du concierge. Elle donne sur le chemin qui, longeant les murs de l’École Normale, débouche sur l’avenue du Père Coudrin — qui est-ce? Je l’ignore. A cette heure-ci, elle ne peut être que déserte car elle n’est bordée que de quelques villas bourgeoises, et encore, n’y vivent que des retraités que j’aperçois de loin en loin taillant leurs rosiers ou traitant leurs deux ou trois arbres fruitiers. Ils attendent la mort, normal, il faut bien qu’ils fassent quelque chose pour oublier leur temps qui passe (le mien aussi d’ailleurs mais j’ai l’impression qu’il m’en reste davantage).

Ici, le mur de l’École Normale n’est ni très haut — environ deux mètres — ni cimenté : trouver des prises pour l’escalader est facile. Sauter dans le jardin est un autre problème : il est en contrebas de trois ou quatre mètres.