Le garçon de café se suicide encore
J’étais alors veilleur de nuit,
continue le garçon de café, dans une fabrique de réveils ; l’idée de
construire une machine à minuterie me fut donc naturelle.
J’achetai
un grand réveil à sonnerie très puissante et, sur la tige vibrante,
soudai la gâchette d’un revolver — un souvenir de famille, « un petit
pistolet de dame à la crosse d’ivoire et à la détente très douce »
avait dit papa en l’offrant à maman avant qu’elle ne se suicide…— je
soudai aussi le revolver à la carcasse du réveil et lestai le tout afin
que l’ensemble reste stable. Je fis plusieurs essais : tous positifs.
Cela me prit du temps, mais ce n’était pas désagréable… Ne me restait
plus qu’à choisir l’heure de ma mort. Je décidai minuit. Le 21 mars
1969, un samedi, je me couchai de bonne heure, tête calée d’ans l’angle
du cadre en bois de mon lit, et pointai avec minutie l’arme. Je fis un
essai sur l’oreiller… Parfait.
Je m’étais acheté le « Roman
Comique » de Scaron dans une édition de luxe reliée pleine peau grenat.
Pour m’endormir, j’ai lu une bonne heure, calme, prêt à mourir.
J’entendais à travers la sourdine des murs qui me séparait de mes
voisins des chansons venant de leur télévision. Ce fut une soirée très
agréable…
Minuit : coup de feu, brûlure à l’épaule droite, je
m’éveillai. Dans mon sommeil je m’étais légèrement déplacé. Une fois
encore, j’avais raté ma mort.