Arrivée de Madame Bouniol

Madame Bouniol succède à Madame Boudon. Elle sort de la boucherie avec son gros paquet de mou destinés aux chats errants de la ville, son œuvre pie. Toutes les nuits elle va étaler du mou de bœuf ou de porc sur quelques places: place des finets, place du chou-vert, place du Mazel, place Charles De Gaulle. Tous les chats perdus le savent et viennent à la distribution. Aussi ça pue partout la merde chat et la pisse, surtout, surtout la pisse âcre des mâles… une infection ! On devrait brûler cette bonne femme comme les sorcières autrefois… Aujourd’hui elle a son journal sous le bras. Midi Libre. Elle en lit tout de la première à la dernière ligne. Lorsqu’elle commente, on comprend qu’elle ferait mieux de rien lire du tout, elle n’a rien compris, mélange tout mais cette lecture la tient éveillée, elle a l’impression de vivre pour quelque chose assis devant sa cuisinière avec ses charentaises posées sur la barre du four dégageant une odeur vaguement douceâtre de caoutchouc trop chaud. Lire le journal lui permet d’affirmer que, s’il fait mauvais temps, c’est la faute à tous ces satellites, à toutes ces cochonneries qu’on expédie dans le ciel. Les fusées, c’est autre chose: elle n’y croit pas. Tout ça c’est des mensonges… Elle a peut-être raison d’ailleurs, comment savoir, comment vérifier la vérité de tous ces mots dont on nous bombarde. De la littérature… En quelque sorte, ce sont toujours des actes de foi que l’on nous demande. Elle dit:

- Vous avez lu le journal ?
- Pas encore dit le chœur des commères…
- Alors, vous n’avez pas vu ce qu’on dit de Madame Bouviala ?
- On parle d’elle ?
- Oui…

Elle ouvre le journal à la page locale, montre du doigt un petit article intitulé "Satyre ou vagabond?"