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Écrits de Marc Hodges
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7 novembre 2006

Rue de La Rovère

Lorsque je pénètre davantage encore dans le paysage, c’est la multiplicité des toits avec, ici et là, leurs bizarres tours rondes couvertes de lauzes — ces pierres du causse grossièrement plates. Paraît qu’elles datent des guerres de religion… Enfin, c’est ce qui se dit. Ce que disent les « savants », ceux qui sont à la Société des Lettres et procèdent à des fouilles sur les plateaux ou dans les archives. Un de mes profs, celui d’histoire, est là-dedans… Qu’est-ce qu’on peut le chahuter ! Faut dire qu’avec son air abruti de myope et cette façon qu’il a de ruminer longuement ses mots pour finalement les cracher au travers du vide créé par l’absence de ses deux incisives supérieures, il n’est pas vraiment impressionnant…

Là-dedans, je veux dire dans les rues, ça grouille déjà. Elles sont étroites, profondes, assez… D’ici je ne vois pas grand chose, je peux imaginer, presque comme si je voyais ce qui s’y passe. Bien sûr, si je rapporte ce que j’imagine, je triche… un peu… mais sinon c’est pas drôle. D’ailleurs, je vois aussi ce qui s’y passe, pour ça, je n’ai qu’à fermer les yeux. Non de Dieu, c’est pas très différent…

Au début, lorsque père a été nommé ici, qu’on a débarqué avec toute la tribu, un de ses collègues lui avait trouvé un appartement rue de La Rovère, un truc immense avec des plafonds hauts comme des ciels et des pièces comme des salles de bal. Du moins comme j’ai lu des descriptions de salles de bal parce que je n’en ai encore jamais vu. Il paraît que ce sont des lieux de perdition — mère dit « de débauche ». Père, lui, se marre quand il en parle, il a l’air de connaître, mais ne faut pas trop s’y fier : il est un peu hâbleur. Il aime bien, sourire entendu, évoquer de ce qu’il appelle « ses frasques de jeunesse » — du moins lorsque nous sommes « entre hommes »… Bref on avait un appartement là, rue de La Rovère, avec balcons. Ma chambre, que je partageais alors avec Théophraste et Théodule (Théodose, neuf ans alors, couchait avec la bonne, dans la chambre de la bonne…). Tous les matins on voyait la rue… Matin, midi, soir, tout le temps, suffisait d’être là. Mais comme c’est le matin qui m’intéresse, je la voyais le matin en me levant à sept heures, sept heures et demie, surtout du balcon quand il faisait beau et que les vieilles pierres de la préfecture en face s’orangeaient lentement au soleil…

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