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Écrits de Marc Hodges
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26 mai 2006

Les écrans affichent leurs fictions

Cette partie de la ville est occupée par des entrepôts, des marchés et des boulangeries. Partout flotte une odeur de fumée, d'huile et de graisse mêlées. Le vent pousse vers l'est les nuages. Dans le quartier, une seule maison occupée, de l'autre côté de la rue un bâtiment en construction, parmi des monceaux de briques, et des tas de sable ou de chaux. Les fenêtres du logement de madame Mimoria donnent sur le Strand. Elle a une centaine de pots de fleurs qu'elle soigne depuis des années, les transportant pour les faire fleurir du rebord des fenêtres au jardin, du jardin à la cave, de la cave au salon selon un rituel d'une précision méticuleuse mais dont les règles vous échappent. Maquerelle? Quel vilain mot pour désigner Mimoria. "P'tite Mère", voilà comment l'appellent les filles de la maison. La bienfaisance humilie les hommes et les fait rougir de leur amour. A vrai dire, toute passion est aussi bien le comble de la folie que le comble de la sagesse.

Vous traversez le carrefour. Les écrans de fiction affichent leur texte : "Les jours suivent leur cours rapide. Sur un mur, une inscription à la craie : "Reviens, reviens". A côté d'Almaviva un petit chien, un briquet d'Artois aux longues oreilles et au museau allongé, est sagement assis, la langue pendante, le regard bon. Passe une femme élégante tenant, tiges en haut, un grand bouquet. Elle porte une robe à fleurs et un grand chapeau de paille de riz. Vous parcourez des yeux l'espace comme pour y trouver une inspiration. Quelle direction prendre? Une camionnette rouge démarre en trombe dans un grand rugissement rageur de moteur. Elle porte l'inscription "AVIS". Vous entendez : "Il est trois heures et quart". Bien qu'il fasse froid, la beauté d'un ciel bleu reste réconfortante. Vous n'êtes pas sûr d'avoir bien entendu." Le ciel s'est tout à coup dégagé. Il fait presque froid. A côté de vous un petit chien, un briquet d'Artois aux longues oreilles et au museau allongé, est sagement assis sur le trottoir, la langue pendante.

Deux agents de police traversent la rue, ils emmènent vers le commissariat deux filles vêtues de chiffons. Le chemin des abus est comme une haie d'épines. Une phrase vous vient en mémoire: "Sais-tu pourquoi je te regarde ainsi ? C'est pour que notre fils te ressemble. Je veux qu'il ait ton beau front, tes beaux yeux, ton nez, ta bouche et ton menton." Vous n'êtes pas vraiment sûr qu'elle soit de Sigrid Undset. Peut-être venez-vous de la voir s'afficher sur un écran. Peut-être est-ce un souvenir enfoui au plus profond de vos structures mentales, quelque chose comme une création subliminale? Il vous semble pourtant que vous aimiez la dire à Amadoria. Mais comment être certain même de cela depuis qu'ils s'acharnent à brouiller les cartes? Vous vous dites que vous n'êtes pas de ce pays si votre cerveau n'est pas pétrie des mémoires de ses ancêtres. Les écrans géants des générateurs de fiction affichent leurs textes. La circulation est interrompue, vous entendez au loin les rumeurs d'une manifestation. Elle avance certainement sur le boulevard. Vous hésitez. Vous décidez de ne pas prendre de risques. Sur le kiosque des photos de vedettes: Mozart, Beethoven, Proust...

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