L'existence est une connerie
On ne tenait donc rien, même pas
l’enfant d’ailleurs, ce fut une fausse couche; on était mariée à un
employé ordinaire, sans plus, payé juste au-dessus du smig. Il avait
bien fallu trouver un travail… Les gosses étaient venus plus tard,
beaucoup plus tard, en deux douloureux paquets de deux.
D’année
en année, la situation des parents Zabre avait empiré, la faillite —
inévitable — était venue et Zabre, sans qualification professionnelle,
s’était retrouvé chômeur: seule elle avait entretenu la famille. C’est
alors que, à vingt cinq ans, déjà désœuvré, trop paresseux pour
vraiment chercher un autre métier, trop peu audacieux pour essayer de
créer quelque chose, il s’était, par hasard, intéressé à l’alchimie —
peut-être simplement à cause du vieux laboratoire de l’entreprise et de
quelques livres abandonnés par son frère après sa fuite en Égypte (quoi
qu’il en soit, les relations des causes et des effets ne présentent pas
un grand intérêt pour ce récit) — et ne voilà-t-il pasque, à partir de
cette distraction, il rencontre d’autres passionnés, découvre que le
monde existe hors de sa famille, qu’on le prend au sérieux, qu’on
l’écoute, qu’on discute sérieusement ses propositions après las avoir
vraiment examinées… Désastre, gâchis… Peu à peu il s’éloigne,
l’abandonne aux soucis matériels d’une famille insupportable, se
considère maintenant supérieur à elle et, s’il la craint encore trop
pour ne pas lui obéir, se sent capable de vivre sans elle.
Quelle
connerie l’existence! Voilà où on en était arrivé sans espoir de
retour; on vivait l’un à côté de l’autre sans espoir de se rencontrer
un jour. Une petite vie médiocre, mesquine, faite de calculs quotidiens
dans une absence irrémédiable de ressources suffisantes.
On était la femme de Zabre.