Montpellier, lundi 13 mai, 21 heures (Trois jeunes tambours 007)
Un feu d'enfer chauffait la bonbonne de verre blanc nommée — dans
une langue hermétique — "cornue" car destinée à des travaux sataniques.
Un liquide noir comme de l'encre y bouillonnait à grosses bulles.
Zabre, à intervalles réguliers de quelques secondes, y jetait une
pincée de poudre aux yeux.
Le bruit rythmé de la chute de la poudre dans la cornue
introduisait, dans le silence calme de la cave, une certaine notion de
temps.
Zabre surveilla longuement — et plus encore — le liquide de la
cornue qui, peu à peu, s'épaississait. Soudain, il éteignit le feu en
l'arrosant d'un liquide alchimique contenu dans la bonbonne verte:
comme à regret, le feu laissa échapper son dernier soupir… Zabre mit
alors l'entonnoir de verre jaune dans l'ouverture béante de la bonbonne
jaune et, prenant pour ne pas se brûler un chiffon, versa une partie du
liquide noir et bouillant de la cornue dans l'entonnoir.
Ensuite, il s'empara d'un des verres rangés sur une des étagères de
l'établi, y versa une quantité d'eau bien précise, ajouta une dose de
pastis et le but en faisant claquer sa langue de satisfaction.
Il introduisit une seconde dose de pastis dans la cornue, s'en
servit une troisième qu'il but sans faire claquer sa langue mais en se
léchant les lèvres, urina dans la cornue sur laquelle il fixa, à l'aide
d'un bouchon, l'alambic de verre, plaça le tout à nouveau sur le feu
éteint, nettoya le foyer et ralluma la flamme. Enfin, il fixa un
sifflet au bout de l'alambic.
Il s'allongea alors sur un lit de camp qui se trouvait — peut-être
fortuitement — dans un coin de la cave et s'endormit comme une vierge
nonnette.