Des gants magiques
Le progrès n'a que deux ennemis, la
défiance et la confiance: on accepta d'aller de l'avant. Palancy
replaça la cagoule sur le portemanteau où il prit le gant blanc ainsi
que le gant noir. Il expliqua alors le dispositif de son expérience.
Ces gants, dit-il, ne sont que des outils intermédiaires incapables,
par eux-mêmes, de produire quoi que ce soit. Pourtant s'établit entre
l'outil et le cerveau qui l'utilise, une relation complexe d'échanges.
Manipulés par des mains expertes, les gants, comme auparavant la
cagoule, sont capables d'enregistrer tous les détails d'un comportement
donné pour, en situation, les restituer entraînant l'amélioration des
gestes nécessaires. Cette amélioration, intégrée par l'organe humain,
provoque à son tour une plus grande efficacité des mains naturelles
capables alors de mieux profiter de l'aide qu'apportent les gants.
S'établit ainsi une spirale dynamique de progrès qui se font à une
rapidité stupéfiante. C'est ce phénomène qu'il se proposait de nous
démontrer dans des expériences de plus en plus spectaculaires.
S'adressant
à un de ses invités qu'il nomma Monsieur Khol, Palancy lui demanda s'il
savait jouer du piano. La réponse étant négative, il le pria d'accepter
de servir de cobaye à l'expérience suivante qui, précisément,
consistait à jouer de cet instrument. Souriant, Monsieur Khol,
s'installant à l'un des pianos, s'exécuta produisant une succession
désordonnée de notes maladroites que l'on ne pouvait, sans beaucoup
d'exagération, qualifier de musique. Alors, le maître des lieux appela
Claude Le Calvez. Au nom du célèbre pianiste toutes les têtes se
tournèrent vers celui qui, s'approchant du second piano, s'y installa
pour interpréter avec brio la piécette lente d'Erik Satie intitulée Choral inappétissant. Ceci fait, Palancy pria Khol d'essayer de jouer
à son tour ce morceau, exploit que, bien entendu, celui-ci, ne
parvenant même pas à reproduire correctement une quelconque séquence de
deux notes, ne put parvenir à accomplir. Sur un signe de Palancy, Le
Calvez enfila soigneusement les gants de Bolkha, gant noir à la main
droite, gant blanc à la main gauche puis, en virtuose qu'il était,
interpréta, toujours du même compositeur, cette pièce beaucoup plus
rapide qu'est Le réveil de la mariée. A la fin du morceau, il
retira les gants, les tendit à Khol. Ce dernier, à la grande surprise
des spectateurs, parvint à jouer quelque chose qui évoquait la
succession des notes du morceau entendu précédemment. Ce n'était pas la
virtuosité brillante de Le Calvez, ni même la sûreté alentie d'un
pianiste un peu plus que débutant : la mélodie produite ressemblait
plutôt au déchiffrement laborieux d'un écolier lisant les notes d'une
partition, mais cependant on y reconnaissait quelque chose, comme si,
maintenant, tout en offrant une certaine résistance à une volonté qui
essayait, contre leur gré, de les assouplir, les mains savaient à peu
près où se placer sur le clavier, les doigts vers où et comment se
tendre.