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Écrits de Marc Hodges
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22 mai 2016

quelque chose comme une initiation

Pourtant je n’ai rien oublié de cette première journée de pêche dont chaque minute m’est aussi présente à l’esprit qu’un film. Ébloui et admiratif, dans ce monde magnifique mais qui me semble néanmoins cacher quelques dangers comme cette vipère qui traverse devant nous la rivière, la tête légèrement hors de l’eau nageant d’un mouvement sinusoïdal ou ces bruits mystérieux de frôlement que l’on entend parfois dans les herbes et les buissons, je suis pas à pas mon grand-père qui me paraît alors quelque chose comme une divinité des eaux et des bois. J’admire sa capacité à fouetter, d’un geste sûr et précis, sa canne en bambou refendu pour placer juste quelques mètres au-dessus de la truite qu’il m’a signalée et dont souvent, sous la surface miroitante de l’eau, je n’avais même pas soupçonné la présence. Il s’arrête, me regarde, place son index droit sur ses lèvres fermées, écarquille les yeux pour me faire comprendre qu’il faut un silence absolu, se déplace très lentement de façon à trouver dans la masse des feuillages un espace suffisant à son mouvement de fouet qu’il fait plusieurs fois siffler dans l’air en tirant son fil de pêche pour lui donner du mou et, enfin, lorsqu’il estime que la vitesse du fil sera suffisante, lancer le leurre qui doit vernir se poser avec douceur, comme naturellement, à proximité immédiate de la truite qui se jette dessus d’un mouvement vif. C’est alors qu’il « ferre », donne un petit mouvement vif du poignet en arrière pour accrocher l’hameçon dans la gueule du poisson et c’est alors, parfois pendant plusieurs minutes suivant sa résistance, qu’il va jouer avec l’animal, tantôt lui donnant un peu de mou pour que le mince fil de pêche ne se brise pas, tantôt le ramenant vers lui en quelques tours de manivelle de son moulinet dont il maîtrise au mieux le frein. Je suis admiratif devant sa maîtrise absolu de ces gestes moi qui ne peux, au mieux, lorsque la rivière se dégage du feuillage offrant un espace confortable à ma canne en fibre de verre, que lancer mon leurre au hasard et mouliner lentement en espérant qu’une truite imbécile saura se prendre à mon appât.

Vers dix heures du matin, mon grand père s’arrête dans une petite clairière d’où émergent quelques têtes de granit. Il s’arrête, baisse le haut de ses cuissardes de caoutchouc : — Maintenant nous allons déjeuner ! Il tire alors de la musette dont la lanière à partir de son épaule droite traverse son torse pour se poser sur sa hanche gauche alors que, partant de son épaule gauche, dans un mouvement symétrique, son panier de pêche en jonc tressé repose sur sa hanche gauche contenant les prises qu’il a faites. Il sort alors un saucisson, deux pommes, un morceau de fromage, une petite bouteille de vin pour lui et une d’eau pour moi me faisant signe de m’asseoir sur un des rochers qui affleure, partage la nourriture. Et c’est un plaisir immense que de manger ainsi un vrai repas à cette heure pour moi insolite dans les feuillotements des rayons de soleil, et un silence presque absolu si ce n’est, par moment, les vibrations de quelques insectes. Il me semble soudain que j’ai changé de statut, je ne suis plus le petit garçon aimé, très protégé qui doit rester autour de la maison sous la garde insouciante de ma grand mère, je suis devenu quelqu’un de plus grand, presqu’un adulte, non seulement car je peux enfin partager une part de leur activité, mais aussi parce que je comprends instinctivement que ce moment avec mon grand père est quelque chose comme une initiation à la nature que je suis désormais invité à découvrir seul.

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