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Écrits de Marc Hodges
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7 juin 2012

Une éducation religieuse

J’écris, je n’écris pas, c’est selon: je ne parviens pas à m’imposer cette discipline qui, paraît-il, fait l’écrivain, écrire au moins une page chaque jour, qui mieux est encore, à heure fixe. Le jour n’est pas encore levé, mais les merles ont déjà cessé de siffler, le ciel doit être couvert ce qui retarde un peu les caracoulements des tourterelles; les animaux ont cette discipline des rythmes quotidiens que je ne sais pas m’imposer.

Mon père se confessa donc au père Boutoul, titre que mon père ne parvenait pas à donner à un homme de son âge avec qui il avait partagé de longues heures d’angoisse, d’attentes interminables, entourés de morts, englués dans la boue des tranchées du Nord. Plusieurs fois il me raconta leur parodie complice. Frère d’armes, le père Boutoul, n’ignorait rien de ses opinions de libre penseur. Mon père, de son côté, comme tout enfant de son époque, avait suivi le catéchisme, s’était confessé plusieurs fois, n’ignorait rien d’un rituel qu’il jugeait clownesque. Aussi, dans ce « secret du confessionnal» où ils ne pouvaient éviter de passer, jouèrent-ils une comédie que l’un, qui avait le rôle titre, prétendit sérieuse tandis que l’autre, qui était le faire-valoir, voulut bouffonne. Le prêtre respecta le rituel, mon père « confessa », dans le désordre, une interminable liste de péchés qu’il s’était inventé la nuit précédent le rituel: «il avait mis son doigt dans la confiture; avait eu des pensées mauvaises; caressé les seins de sa promise avant le mariage; coassé au passage d’un prêtre; détesté la guerre; maudit le Général Duchêne; ri au passage d’une procession; s’était moqué de la vierge noire; avait empêché un de ses élèves, en le retenant sous un prétexte quelconque, d’aller se confesser; avait laissé brûler une tarte aux pommes; etc.». Le prêtre joua le jeu, lui donna l’absolution à condition qu’il dise chaque matin dix pater et quinze ave, fasse un don aux œuvres, et vienne à la messe deux fois par semaine.

C’est ainsi qu'il inventa ce «jeu de la confession» qui, plus tard, nous rendit, mon père et moi, complices d’une éducation religieuse critique. Nous partagions les rôles, je jouais celui du pénitent devant inventer toujours de nouvelles culpabilités les plus baroques possibles, lui tenait celui du prêtre qui devait imaginer des punitions invraisemblables. Ce jeu irritait ma mère qui ne parvint jamais à abandonner une certaine dose de religiosité. Je suis persuadé que ce fait n’était d’ailleurs pas étranger au plaisir de mon père à y jouer de temps en temps. Sachant très bien ne pas aller trop loin, il aimait en effet chatouiller ma mère sur la religion, se moquer gentiment d’elle pour mieux la câliner ensuite.

Vis à vis de la religion, mon père prétendait me laisser libre: s’il ne s’opposait pas à ce que ma mère me fasse enseigner le catholicisme, il se donnait le droit de m’ouvrir la pensée sur d’autres perspectives. Notre «jeu de la confession» faisait partie de cette stratégie; une autre méthode, plus subtile, était, sous prétexte d’éveil culturel, de m’ouvrir aux autres croyances du monde. En bon pédagogue, il savait que les récits aventureux, riches en péripéties, de la mythologie grecque ne pouvaient qu’intéresser un cerveau d’enfant curieux. Bon conteur, chaque soir, après que ma mère m’eût fait faire ma prière, il m’en racontait, pour m’endormir, un épisode, mettant le dieu catholique au niveau des multiples dieux grecs, relativisant ainsi de façon insidieuse tout ce que le prêtre de la commune tentait de m’enseigner par ailleurs.

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