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Écrits de Marc Hodges
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14 mars 2012

Ma naissance

Je suis né le 31 décembre 1922. Un peu tard comme petit Jésus, un peu tôt pour mes futurs anniversaires. Ça commençait mal. Je soupçonne mes parents de m’avoir conçu en écoutant ce « Tango Neurasthénique » que Georgius chantait cette année-là : « Ce beau jeune homme brun / Sort du bal Tabarin / Et s'il n'a plus le front serein, (Refrain) C'est le tango qui l'a rendu neurasthénique »… Plus tard, je m’en souviens. Je m’en souviens car, pour le reste, de ma naissance, je ne me souviens de rien même si j’ai fini par m’en constituer une mémoire. Plus tard, j’entendrai aussi mon père, lorsqu’il était heureux, fredonner souvent « Machinalement » d’un certain Victor Boucher et, surtout, « j’en ai marre » de l’inoubliable Mistinguett : Si c'est ça la vie / Eh bien, je vous l'déclare / Sans être socialo / C'est pas rigolo / Et moi j'en ai marre ! », toutes chansons qui ont de peu précédé mon surgissement dans un monde où l’oublié Alexandre Millerand était Président de notre république et, l’encore plus oublié, Charles de Lasteyrie du Saillant, Ministre de nos finances. Il est vrai que tout cela ne me préoccupait pas beaucoup alors. Je suppose que, si je braillais — il paraît que je braillais — ce n’était sûrement pas politique. Pas plus que ne m’inquiétait le fait que ce jour-là même cette République décrétait la naissance du permis de conduire, preuve s’il en est que l’on se souciait déjà, en haut lieu de mon futur de citoyen. Le monde était donc ce qu’il était et je n’y pouvais rien. J’héritais d’un monde qui commençait à peine à se remettre du traumatisme de la sanglante première guerre mondiale.

Mais, ici, je me ressemble pourtant : je suis né ce jour-là, le 31 décembre 1922. Pas un autre et cette coïncidence ne fut sûrement pas fortuite.

Dans cette première partie de ma vie faite d'une mémoire reconstruite sur des confidences, des matériaux épars et divers — lettres, photos, coupures de journaux, documents officiels — quel fil tirer ? Mère, père, grand-mère, grand-père, oncle, tantes, cousins ? Autant de candidats pour dire ce monde dans lequel, à mon corps défendant, ce jour-là, à 13 h 03, je fus, en braillant, tiré du ventre de ma mère par des forceps perdant à l’occasion une petite portion du haut du pavillon de mon oreille droite, seul élément de mémoire que je conserverai toute ma vie de ce moment fondateur. Il paraît — confidences ultérieures de ma mère et de ma grand-mère — que ma naissance, très attendue car j’étais le premier de la famille, fut un peu difficile: il neigeait, les routes et chemins étaient impraticables sur plus de cinq kilomètres et mon père avait dû aller, avec le percheron d’un voisin, chercher le docteur jusqu’au point où il avait abandonné sa voiture. Mon père, lorsque, sur le mode épique, me racontait, l’enjolivant chaque fois d’épisodes inédits, le récit de cet exploit qu’il me dédiait, que c’était une Ford et, ajoutait-il avec une admiration mêlée d’envie, la première de la région. Signe s’il en était, que ce médecin, M. De C…, par ailleurs rejeton d’une des familles les plus riches du département, était un homme sérieux auquel on pouvait faire confiance.

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