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Écrits de Marc Hodges
Écrits de Marc Hodges
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28 février 2012

Fin de partie

Je lis souvent des journaux… Il y a deux ou trois jours, Libération a publié un de ses cahiers spéciaux imposés aux lecteurs sommé de payer l’augmentation déguisée ou de se priver de son quotidien (passons… les mœurs des entreprises m’échappent de plus en plus…), le supplément des « écrivains commentant l’actualité ». Ces gens, quels qu’ils soient, quels que soient leurs titres de gloire (la plupart d’entre eux me sont totalement inconnus et je me demande bien par quels réseaux souterrains d’amitiés ils sont choisis…) ont toujours quelque chose à dire, c’est leur métier, quelque chose sur tout alors qu’aucun de nous ne maîtrise l’interprétation de sa propre existence. Mon passé de médecin, mon expérience de la vie sociale, le fait que pour des raisons diverses j’ai été amené à me frotter à la politique, y compris dans des circonstances difficiles, devraient m’accorder une parole en ces domaines — il est vrai cependant que personne ne m’a jamais rien demandé — mais pourtant je ne me sens jamais investi de ce droit. J’éprouve toujours l’impression très forte que ma parole n’est en rien supérieure à n’importe quelle autre et une méfiance instinctive envers ces gens — que l’on rencontre si souvent dans n’importe quelle conversation — qui savent tout sur tout et peuvent exprimer une opinion péremptoire aussi bien sur la paysannerie bengali que sur le gouvernement du Venezuela. Mes expériences de vie ne sont pas de cet ordre : il me semble que tant de mes opinions les plus argumentées, construites, réfléchies se sont trouvées démenties par les faits, que toute affirmation n’ouvre que sur des incertitudes.

Peut-être suis-je pusillanime, peut-être suis-je de ces gens qui ne savent pas se battre et ne prennent jamais le risque d’imposer leur opinion — Napoléon, Hitler, Lénine, Staline, Mao Tsé Toung, etc. — notre époque (mais il en a toujours été ainsi) est si riche de ces certitudes qui mènent à des désastres que je ne peux que me retirer dans mon Aventin. La tentation monastique, extrême, celle du stylite… mais hélas, je ne crois en rien or seule une foi — quelle qu’elle soit — peut rendre de telles vies acceptables.

 

«La mort arrive pour rien, environnée de silence, comme une tacite, ultime, combinaison de penser» rappelle Carlo Emilio Gadda dans La cognizione del dolore. Je lisais ce matin cette phrase qui m’a plongée dans une profonde mélancolie : «la mort arrive pour rien» et je n’ai pu m’empêcher de penser à tous ceux, qui autour de moi, ont disparu dans ce silence : parents, amis, connaissances dont l’absence crée peu à peu autour de moi une zone de vide où je me sens lentement comme enkysté. Le journal est plein de bruits et de fureur : les hommes s’entretuent avec de plus en plus d’ardeur et d’efficacité technologique — il est vrai aussi que des foules d’exécutant et de simples couteaux obtiennent des résultats moins «propres» mais tout aussi remarquables — comme si, en la donnant eux-mêmes en masse, les hommes voulaient occulter cette réalité de la mort: la donnant eux-mêmes, il leur semble avoir pouvoir sur elle… Et pourtant, ignorant l’urgence, elle attend son heure.

La littérature est peut-être une résistance, une autre façon de retarder — de nier peut-être — cette réalité. C’est pour cela qu’elle représente un domaine trop important pour être laissée aux amateurs. J’ai quelques scrupules. J’écris. Écrivant je lutte à ma façon contre ce silence absolu de la mort qui peu à peu m’encercle, mais je n’ai aucune légitimité à le faire… Écrire me maintient en vie. C’est un des rôles des journaux intimes. Écrire pour tout le monde, visée de la littérature, a une autre ambition: affirmer la pérennité de la pensée humaine, plus exactement du pouvoir de création de la pensée humaine. Parce qu’on ne peut y parvenir aussi facilement, à l’inverse de Hodges ou de Balpe, je ne crois pas avoir la capacité d’y parvenir: faut-il pour autant, acceptant ainsi l’inéluctable, accepter de me taire ?

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