Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Écrits de Marc Hodges
Écrits de Marc Hodges
Visiteurs
Depuis la création 98 774
Archives
28 novembre 2011

Au bord du suicide

A une certaine époque, je m’irritais d’événements, de paroles, de choses qui me font sourire aujourd’hui. Peut-être — certainement en partie — parce que les coups multiples que l’on ne peut pas ne pas recevoir au cours d’une existence m’ont endurci le cuir ou parce qu’une chose irritante ne l’est que dans sa nouveauté et que, rencontrée dix fois, cent fois, sa capacité à provoquer des réactions s’émousse ou encore, plus simplement, parce que depuis que je me suis retiré, à l’écart de ce qui est considéré comme le monde, dans mon petit manoir de basse Bretagne je ne rencontre directement que peu d’événements et que la distance physique par rapport à ceux qui me sont rapportés joue, en quelque sorte, un rôle de tampon.

J’ai eu, un temps, une activité politique réelle, j’ai même cru pouvoir infléchir les directions, non du monde (mais l’on sait qu’en ce domaine tout est relié) mais de mon pays. Ma proximité avec le Général Proust (ma très grande proximité avec sa femme) en portent un public témoignage mais l’échec que l’on sait m’a rejeté dans ma province où il me semble désormais avoir complètement changé non seulement de mode de vie, ce qui est somme toute assez fréquent, mais avoir changé la définition même de ce qu’est la vie. Je vis ici reclus volontaire ne m’intéressant plus qu’à mon potager, aux plantations de mon potager, à la santé de mes quelques vaches, plus proche de la nature que ce que je n’aurais jamais imaginé qu’on puisse l’être. Un bouton de rose qui éclot, un nid de rouge-gorge découvert (et protégé) dans un taillis, la découverte (ou redécouverte) d’un bon vieux livre, voilà ce qui pour moi, désormais, relève de l’événementiel, et si, au cours d’une promenade dans mes bois je trouve une carcasse de frigidaire abandonnée d’un bord de route par un concitoyen indélicat, cette découverte ne m’irrite plus comme elle l’aurait fait il y a quelques années. En ce temps-là, j’aurais convoqué la gendarmerie; aujourd’hui, sachant que le temps qui nous fait et nous défait encore plus vite, saura faire son œuvre, je me contente de changer de routes: j’ai encore bien des sentiers disponibles du calme desquels je veux jouir sans perdre quelques secondes de mon existence sur des objets qui n’en valent plus la peine.

A quoi bon ? A quoi bon se lever le matin, aller me promener dans mon parc, répondre au téléphone, aller boire un café à mon bistro habituel, lire le journal, écrire ?… Je ne sais pas, je ne sais plus, j’éprouve devant tous les micro-événements de l’existence une lassitude de plus en plus grande comme si, les ayant tous vécus des centaines de fois, je ne pouvais plus trouver en eux aucune satisfaction réelle. Je deviens indifférent au monde. Je ne le vis plus, le subis, chaque jour qui commence est un jour qui passe, un jour déjà passé avant même d’avoir commencé et je n’attends plus rien du lendemain. Je me force. Un reste de volonté fait que je me force et si le matin je me lave, me rase encore, c’est plus par la force de l’habitude, par la mécanique des habitudes, que j’accomplis ces actes que par envie d’être beau, propre, élégant, séduisant, social, aimé, aimable…


Il me semble que plus rien ne mérite le moindre enthousiasme pourtant la santé insolente dont je bénéficie, la préséance de mon corps qui insiste, fait que si j’ai eu quelquefois l’idée du suicide, je sais, je sens au plus profond de mes cellules qu’il est hors de question que je cède à cette tentation, mon corps entier répugne à l’idée de la mort et s’enracine dans la vie avec la force d’un chêne. Vivre donc mais de quoi ? Pour m’épuiser, ne plus penser à rien, je marche ainsi sans but des heures dans les forêts qui environnent mon domaine ou monte à cheval sans autre besoin que celui de me sentir vivre. Est-ce mon métier de médecin qui m’a montré la vacuité de toute lutte, la stupidité de la marche vers la réussite qu’un virus anodin abat en quelques jours, l’intelligence trahie par une veinule, la force physique que détruit en quelques instants la piqûre d’un insecte minuscule ? Je ne vis que parce que je ne peux pas faire autrement sans réussir à me donner pour cela d’autres raisons tant toutes celles que j’envisage me semblent dérisoires.

Et ce journal ? A quoi bon ?

Publicité
Commentaires
Publicité
Derniers commentaires
Publicité