Première leçon

Tous se retirent. Chiadé prend Alcathe par la main, le conduit dans une pièce identique à celle où Moéra l’avait amené la première fois. Tous deux se mettent en position de lotus sur la moquette blanche, Chiadé se penche le regarde dans les yeux comme si elle voulait s’absorber en lui, pose un baiser sur ses lèvres, prend ses mains :

- Cher Alcathe, nous n’avons que trois règles: obéissance, amour, spiritualité. Obéissance absolue à notre Grand Maître, à nos Maîtres qui nous ont précédés dans les voies de l’illumination et nous guident; obéissance à la communauté de nos frères dont chacun de nous est une cellule… Amour de la divinité, amour de l’obéissance, amour des frères, amour de l’amour. Pour t’accomplir, toute seconde de ton existence doit chercher l’amour. L’amour est notre principe de vie, notre hydromel, l’air que nous respirons, la lumière qui nous éclaire, le temps qui nous emporte… Même à l’égard de nos ennemis, nous devons abolir toute haine et si, parfois, nous sommes obligés de les combattre, nous ne devons le faire qu’en les aimant pour ce qu’ils sont malgré eux… Spiritualité car le vrai amour, l’amour absolu, exclusif, l’amour de l’amour, permet à l’esprit de s’épanouir, repousse jusqu’aux limites de l’inexistence les faiblesses de nos corps transitoires. Nos hypostases, nos individualités déterminées qui rendent l’espèce humaine dénombrable, ne recherchent que la dissolution dans une espèce humaine concrète agissante qui est un seul homme à l’image de Dieu. Là est la clef de notre quête ! As-tu compris ? Ce n’est que par l’effusion de l’amour de chacun de nous pour chacun des autres que l’homme peut reconquérir cette spiritualité, promise depuis l’origine, dont les forces du mal s’évertuent à l’éloigner.

Alcathe ne fuit pas le regard extatique de Chiadé qui le pénètre comme une lame. Il écoute… Il ne sait pas encore s’il comprend bien tout ce que, d’une voix douce et lente, disent ces lèvres si proches des siennes mais il se sent déjà convaincu: obéissance, amour, spiritualité. N’est-ce pas le remède à toutes les chieries d’une existence jusque là galère, fauchée, solitaire? Quoi de mieux que d’obéir à ceux qui vous aiment et qui, dans une baraque nettoyée de toutes les minables petites merdes de la vie quotidienne, n’ont rien d’autre à foutre que de vous faire devenir meilleur? Alcathe tend à oublier Sidney. Son visage se rapproche de Chiadé qui le laisse faire. Leurs lèvres se touchent :

- Je t’aime, frère Alcathe, dit Chiadé.
- Je t’aime aussi, Chiadé, dit Alcathe.

Leurs regards s’abîment l’un dans l’autre, Alcathe tend la main droite, la pose sur les cheveux de Chiadé. Elle l’arrête :

- Non Alcathe… pas maintenant, pas comme ça… J’ai encore beaucoup de choses à t’apprendre sur nos missions et nos façons de vivre.