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Écrits de Marc Hodges
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14 février 2011

Des ghazals d'Asie Centrale

Sur un plan plus général, plusieurs remarques peuvent être faites sur cet ensemble de textes et traductions:

 Il constitue une excellente anthologie du ghazal ouzbèque.
 Tous ces textes, même les plus anciens, même les plus riches culturellement, sont encore aujourd’hui très populaires en Asie Centrale.
 Les traductions — d’une grande précision et d’une grande qualité littéraire — ne peuvent avoir été réalisées — vue la variété des époques et les particularités de ces auteurs qui empruntent leur vocabulaire à diverses langues — que par un très bon connaisseur des langue tchagataï, turques, mongoles, perses, arabes.
 La grande majorité des textes fait référence au sûfisme, une des traditions mystiques de l’Islam.
 L’auteur le plus cité (environ trente pour cent des textes), Hodja Ahmad Yassavi, est un des premiers poètes de langue turque. Il est également le fondateur d’un ordre sûfi — “t’ariqa” — appelé "Yassawia". Extraordinairement populaire en Asie Centrale, il vécut et mourut à Yassi dans l'actuel Turkestan. Tamerlan lui fit élever un tombeau qui reste un modèle d'architecture orientale. Le livre de Yassavi Khikmati (aphorismes) est aujourd'hui encore très populaire.
 Le second auteur cité (environ vingt-six pour cent des textes), Machrab, est aussi un mystique sûfi proscrit durant toute sa vie pour ses idées et mort sur le gibet à cause de l’hétérodoxie de ses opinions politiques et religieuses.
 Les autres auteurs sont moins remarquables sur ce plan. Cependant tous les textes, y compris ceux non attribués, respectent la loi du ghazal qui est de ne chanter qu’un seul et unique sujet, celui de l’amour. Mais une forme très particulière d’amour puisqu’il est impossible de savoir si la personne aimée est une femme ou un homme — l’ouzbèque ne connaît ni masculin ni féminin — pas plus qu’il n’est possible de savoir si elle est un personnage humain ou la divinité. En fait, le ghazal joue profondément sur ce syncrétisme: l’amour divin passant par l’amour humain et l’amour humain étant une étincelle du feu que représente l’amour divin car, comme dit le Coran: “man ‘arafa naf-sahu, fa-qad ‘arafa rabbahu” (Celui qui se connaît soi-même connaît son Seigneur). D’où le thème central qui est celui de la “séparation” qui se décline sous ses multiples formes: “khadjr”, absence de rapports; “khidjron”, mise en place d’une absence de rapports; “ayrilik”, différence; “firok”, différenciation; etc. Le but de cet amour est l’union, ou plutôt la réunion : “Comme ce jour est douloureux qui me sépare de ton visage !” (Machrab), “Unité sous la dualité : Il est tout dans Tout” (Nizhâm Ayn al-Shams wa-l-Bahâ). La complexité de cette thématique fait de tout ghazal un tressage d’interprétations où tout mot peut avoir un sens second différent du sens apparent et ce d’autant que, jouant sur l’emprunt à des langues diverses, l’auteur multiplie les possibilités d’interprétations. Comme il s’appuie sans cesse sur des références culturelles implicites, notamment celles au Coran, le Livre des livres, “le ghazal n’a donc vraiment ni dénotation ni référence. Le monde dont il parle est un monde absent, imaginaire et intérieur, un monde de pure construction spirituelle qu’il s’agit de faire venir au jour par le texte” (Khamid Ismaïlov, le ghazal ouzbek, Anka n° 22/23). La littérature du ghazal est une littérature proche de l’obsession qui recherche l’infinitude des variations minimales. Ses textes tournent toujours, sans jamais les épuiser, autour des mêmes thèmes, des mêmes mots. En cela ils sont proches de la prière mystique.

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