Sidney retourne à l'hôtel Saint-Aignan
Arrivé devant la façade immaculée de l’Hôtel
Saint-Aignan, il se souvient de la caméra, déroule son cache-nez pour être
reconnu. Que sa venue puisse paraître incongrue ne l’effleure pas : Boèce
de Dacie lui a dit de venir quand il voudrait, il vient. Il doit être le
bienvenu. Qu’importe le temps passé entre le moment de l’invitation et celui de
sa visite, Sidney accepte les mots pour ce qu’ils disent, non pour ce qu’ils
dissimulent. Doigts ouverts, il plaque sa main droite sur les empreintes de la
plaque de verre, note le léger déplacement de la caméra, l’avancée de
l’objectif qui doit zoomer sur son visage. Dans l’interphone, la voix
électronique d’un automate, déformée, lui demande son nom. Il se nomme. Sans
autre explication, le grand portail de bois s’ouvre. Sidney entre dans la
petite cour de l’hôtel. Le portail se referme derrière lui. Sidney marche sur
le gravier vers les quatre marches de pierre du perron par lequel il a pénétré,
l’avant-veille, dans l’immeuble. Le rez-de-chaussée s’illumine. Il ouvre la
porte, reconnaît aussitôt la douce chaleur de la grande salle blanche à la
moquette de laine écrue. Dans le silence absolu, l’impression de confort et de
luxe qui l’avait tant impressionné lors de sa première visite se double
maintenant d’un sentiment de calme, de sérénité, qui le met à l’aise. Les
images mobiles et abstraites des écrans géants respirent sans fin. Équilibre et
mesure… Alors qu’il aurait pu se sentir ici étranger, rejeté par ce monde si
différent de celui où il vit habituellement, Sidney éprouve au contraire la
sensation curieuse d’être chez lui. Il s’approche d’une des grandes fenêtres,
contemple longuement le jardin. L’équilibre harmonieux des lignes trace une fluide
promesse d’éternité; rien ni personne ne bouge. Il examine une à une les
têtes de Bouddhas souriants aux attitudes toutes identiques et pourtant si
différentes. Le sourire de l’une lui paraît plus paisible que le sourire de
l’autre ; certaines manifestent de l’inquiétude ; d’autres une plus
grande paix intérieure ; d’autres encore une intemporalité absolue. De
toute la force de leur beauté, elles l’attirent, l’envoûtent comme si elles
sublimaient cette profonde androgInie de l’amour familial qui berce l’enfance
de l’homme et que Sidney n’a jamais connu. Tout en lui apportant un remède à
l’absence, ces visages révèlent son manque, sa blessure profonde.