Fin de partie
« Le chanteur, encadré de ses
anges voluptueux auxquels on avait rogné les ailes, tenait le public sous son
charme. Dans la nef, de splendides créatures en mini-jupes, secondées dans leur
tâche par de magnifiques adolescents bronzés (fronts ceints de rubans) semblant
des éphèbes athéniens rendant un culte au dieu de la volupté, de l’amour et de
la nature, persistaient à proposer, avec force sourires, le programme de la
soirée. Cela aurait pu être une fête de la débauche si ce n’avait pas été une fête
de la croyance, de la résignation, de la souffrance… mais comme personne ne
comprenait la langue des complaintes chantées, cela n’avait, au fond, que peu d’importance… »
Le sacristain Petit, air martial,
coupe grise en brosse, allure décidée et ferme, interpelle un jeune scout blond
vêtu d’un polo rouge cintré et d’un bermuda à grosses fleurs écarlates du plus
bel effet sur le fuseau imberbe des jambes. Sous un prétexte quelconque (voir
si l’acoustique est bonne), l’entraîne au rythme de la prise de Jéricho, dans l’escalier
du clocher. Seule la tripière remarque cette disparition : elle grimace un
sourire qu’elle voudrait futé, si c’était possible…
Sous la pluie battante de notes de
musique, les bonnes sœurs sourient aux anges ; la baronne au caissier de
la banque ; les bourgeois aux jeunes filles, les scouts à tout le monde :
tous veulent se sentir bien, heureux ; tous veulent se sentir frères car
il ne faut surtout pas laisser supposer que le demain on ne se tutoiera plus,
on ne se regardera même pas… ou à peine. Il faut fraterniser, « communier »
a dit le jeune aumônier rêveut. Aussi quand Jim Wollans propose aux spectateurs
de se balancer en se donnant le bras, la baronne n’hésite-t-elle pas à livrer,
pour la première fois de sa vie, son plantureux avant-bras à la poigne rugueuse
d’un prolétaire anonyme qui, dans ce cas, se trouve être le cantonnier. La
soirée se termine dans un quasi-délire, toute appartenance sociale abolie, tout
grade, tout titre oublié dans l’universelle amitié. Et quand l’artiste termine
son tour de chant, c’est une ovation formidable qui le remercie d’avoir laissé
croire à chacun qu’il est généreux, bon, jeune, intelligent, progressiste, et même
(au fond pourquoi pas…) révolutionnaire.