Conversation (suite)
Le couple de petits vieillards essaie de comprendre ce qui est
en jeu mais, timides, effacés, aucun des deux n’ose poser de question…
— Et tu crois, Théophile, que ce sont eux, demande d’un ton
benêt la femme du sacristain Petit ? — Qui veux-tu que ce soit, répond
sèchement son mari, tu n’as jamais lu leurs tracts, leurs journaux du MRA comme
ils disent ? (Ici le sacristain Petit écarquille les yeux, tend les mains
en avant, mains ouvertes vers le ciel, puis hausse les épaules) ? — Vous
avez très certainement raison approuve, hochant vigoureusement son menton
couvert d’un duvet grisâtre, ça ne peut être qu’eux… D’ailleurs ce sont presque
tous des étrangers, des gens capables de tout… Si vous voyiez comme ils
s’affichent avec cette fille… — Cette Armelle, ricane la crêpière… — Bien sûr,
elle set toujours avec ces deux garçons, elle doit coucher avec les deux, et
peut-être d’ailleurs avec tous ceux qui le veulent… — Sûrement, opine la
crêpière.
Les petits vieux se regardent. Lui se râcle timidement la gorge,
s’approche du groupe dont il ose à peine regarder les participants et, très,
très timidement, voix blanche, souffle retenu, ose demander : —
Excusez-moi, j’ai entendu votre conversation, cette fille dont vous parlez…
elle loge peut-être à l’hôtel du Roi Artus ? — Elle y loue une chambre,
oui, dit le sacristain Petit. Quant à y loger, c’est autre chose…
Les commères affectent un sourire entendu. Elles apprécient l’autorité
et l’humour du sacristain, sa femme elle-même semble avoir compris.
— Si j’étais sa mère, suppose, la mercière, je viendrais la chercher
et je la ramènerais chez moi avec une bonne correction. — Pensez-vous, dit la
crêpière, des gens qui élèvent une fille de cette façon n’ont ni foi ni loi. —
Mais, qu’a-t-elle fait de si grave ose demander la vieille dame digne d’une
voix très fluette, à peine audible.