La danse de justice

Le garde-champêtre donne le signal du départ. La longue, lente, lourde procession commence. La file avance, crie les noms, provoque un charivari énorme, mais, peu à peu, le triple tour de chacun autour de la hache contraint la foule à adopter un rythme de marche plus lent ce qui entraîne une baisse sonore de la violence des paroles. On assiste alors à l’apparition d’une étrange mélopée obsédante scandée par les heurts sourds des sabots sur la place, rythmée par les balancements réguliers, monotones, des coiffes féminines. Ce chant montone, d’abord secondaire dans la cérémonie, devient peu à peu essentiel à chacune des personnes présentes au point que le crieur public se met à battre son tambour de coups brefs et espacés, que le curé, Yvré et le garde-champêtre se laissent prendre aux balancements. Les habitants qui, dans une cacophonie insupportable, hurlent chacun leur nom, se mettent à reprendre en chœur le nom de celui qui passe sous la hache et ce chant, au début uniforme, déferle en vagues régulières sur la place. La foule de ceux qui auraient dû partir, reste là et forme une immense ronde enveloppant la hache dressée.

Serge, Armelle, Robert, Wilfrid, qui viennet d’arriver, voiture pleine de tracts, assistent à cette étrange danse surgie du plus profond de chaque être. Vaguement effrayés, sans pour autant comprendre vraiment la cause de leur terreur, ils regardent en silence. Armelle se tasse dans les bras de Serge et, fermant les yeux, se laisse envahir par le chant rauque, sauvage, qu’elle ressent comme une menace.

Huelgoat, vendredi 24 mai, 18 heures 30