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Écrits de Marc Hodges
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12 mars 2009

Chambre d'enfance

Aussi loin que je remonte dans mes souvenirs (mais j’ai l’impression de ne pas remonter très loin si ce n’est un souvenir flash, quelque chose comme une image subliminale où je me vois sur les genoux d’un homme qui m’offre un giroscope, aperçu qui, d’après ma famille remonterait à ma troisième année) je me vois toujours dormir seul dans le même lit à barreaux surmontés de décorations en cuivre de la même chambre. C’était une chambre que je trouvais immense. Située à l’extrémité nord de l’immense appartement de ce vieux hôtel particulier du dix-septième siècle complètement délabré et sans le moindre confort où nous vivions alors, elle était glaciale. L’immeuble n’était pas chauffé et, dans la ville de montagne où il était situé, il n’était pas rare que l’eau du broc destinée à ma sommaire et rapide toilette du matin, soit gelée.

Ce froid, cette domination du froid, a ainsi joué un rôle initiatique, à la fois dans ma sensualité et dans mon imaginaire. J’aime ainsi encore par les journées de gel, sortir nu sur ma terrasse pour éprouver le contraste voluptueux du froid vif sur la surface de ma peau et la chaleur interne du sang qui circule dans mes muscles. Mais, sur ce point, je reviendrai pour tenter d’analyser à quel point il a marqué la totalité de mes sens.

Avant de pénétrer dans ma chambre, je devais, enfant, affronter toutes sortes de peurs. Celle-ci, en effet, étant, comme je viens de le dire, située en bout d’appartement, je devais, chaque soir et chaque matin traverser dans un sens, puis dans l’autre, une enfilade de pièces toutes plus obscures et désertes les unes que les autres. Un petit salon qu’éclairaient exceptionnellement les flammes dansantes d’une cheminée projetant sur les murs des silhouettes fantasmagoriques, un grand salon ensuit — pièce jamais utilisée — plein de vieux meubles et de portraits poussiéreux, puis une chambre dont l’armoire de chêne émettait des craquements sinistres ; un couloir enfin, la pire de toutes mes épreuves car une porte condamnée laissait filtrer un filet d’air qui agitait sans cesse le rideau qui la dissimulait. Je le traversais en courant pour pénétrer dans l’obscurité totale et froide de ma chambre, me déshabillait en vitesse, jetant mes vêtements sur un fauteuil fatigué pour, enfin, pénétrer avec une intense volupté dans les droits rêches et glacés sous la couette de plumes d’oie que mon corps jeune et bouillonnant ne tardait pas à réchauffer.

Est-ce à cause du froid que je voyais dans la tapisserie art-déco qui tapissaient les murs de la chambre des foules d’esquimaux qui me terrorisaient lorsqu’une lumière venant de la chambre voisine par une petite fenêtre haute (que faisait-elle là ?) ou qu’un rayon de lune traversant les fentes des lourds volets de mes deux fenêtres les éclairaient vaguement, semblant parfois les animer de mouvements inquiétants. Mon lit était alors mon seul refuge et, de la tête au pied, prenant garde à ne pas laisser dépasser un seul de mes cheveux, je m’enfonçais dans sa profondeur souple retrouvant spontanément la si rassurante position fœtale qui me permettait d’atteindre le matin dans la sérénité.

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