Le train
Passe le loueur d’oreillers.
Passe le marchand de journaux.
Passe le marchand de sable
Des
voyageurs descendaient, quelques uns montaient. Un élégant jeune homme,
l’air impatient, soutenu par le mur de la gare, regardait l’heure à sa
montre. Armelle lui sourit. Il ne s’en aperçut pas. A ses pieds, une
valise cuir.
Dans un flot de lumière, quelqu’un ouvrit la porte du compartiment, regarda le couple, se retira.
23
heures 40… Un coup de sifflet, le train repartit dans la nuit. Armelle
resta quelques temps à la fenêtre prenant soin de ne pas se pencher.
Une fois sorti de la verrière de la gare, elle s’aperçut qu’il
bruinait. Elle releva la fenêtre coulissante, s’installa sur la
banquette. Elle ne pensait à rien. Ne pensait même pas qu’elle pensait
à rien. Puis se dit: « demain j’enverrai une carte postale à ma mère… »
Armelle
n’a pas sommeil. Elle voudrait lire : n’ose pas éclairer. Elle prend le
magazine resté sur la banquette, sort du compartiment, dans la lumière
du couloir. Il est vide. Le couloir est vide, y flotte une impression
bizarre d’arrêt, quelque chose de cotonneux, hors du temps, comme si,
brusquement toute vie s’était figée. Une impression de parenthèse. Elle
referme avec précaution la porte du compartiment, s’adosse à la
cloison, ferme les yeux, se laisse avaler par le silence. Le train,
seul, parle, répète sans cesse «dormez en paix bonnes gens… dormez en
paix bonnes gens… dormez en paix bonnes gens… dormez en paix bonnes
gens… dormez en paix…» ; rythme la vie ensommeillée, tranquille, du
monde.
Avant Montauban de Bretagne, mercredi 15 mai, 8 heures 15