Poussette et voiture de boucher (RE - 03)
Et le livreur de journaux n’est qu’un
détail, parmi d’autres. Par exemple, une fenêtre de la mairie qui
s’ouvre. Sûrement celle de la salle de réunion que je connais bien
parce qu’un de mes amis est le fils du concierge… ou encore le groupe
d’enfants qui remonte le chemin du Clapier vers l’orphelinat ou,
peut-être, vers Chapelierou…
Faut trier, «ce qui frappe le plus». Vite dit. C’est accorder plus d’importance à telle ou telle chose,
tel ou tel événement, au détriment des autres. Une forme de racisme, un
préjugé, je n’aime pas ça du tout. Non que je sois tellement soucieux
de la «vérité». Je m’en fiche. Mais par principe. Seulement par
principe. Je ne transige jamais sur mes principes. C’est comme ça. Je
ne sais pas lequel, mais par un principe quelconque: tout événement a
autant d’importance qu’un autre. Une forme d’égalitarisme élémentaire
devant des faits dont on ne sait jamais quand ils se produisent les
effets qu’ils peuvent engendrer. Par exemple, rue du Chaptal, en ce
moment, je vois un chien qui traverse devant la librairie. Je le note
ou je ne le note pas? Si je ne le note pas et que ce chien décide de
mordre les mollets de la jeune femme qui sort de chez elle avec la
poussette de son premier enfant (garçon ou fille, je devrais
savoir…), que ce fait provoque le lâcher momentané de cette poussette,
qu’à ce moment la camionnette du boucher arrive et renverse la
poussette, je manque un fait majeur qui influe sur toute la série des
faits à venir… Ou alors faut que je me donne une heure précise: je
décris ce qui se passe à 9 heures 21 minutes 13 secondes, mais j’ai à
peine noté une lettre qu’il est déjà 14 secondes. La course contre le
temps est perdue d’avance. Écrire est condamné à l’échec. Il faut
transiger.