En décapotable

Arrive une Triumph (une Spitfire) rouge (sang). Gênée par le tracteur, par le pentacle magique et par un poids-lourd venant en sens inverse, elle freine brutalement. Cale. Yvré s’approche, demande au jeune conducteur s’il consent à le prendre. Celui-ci s’inquiète de sa destination. « Quelque part en Bretagne » répond notre héros. La Spitfire va à Huelgoat. N’ayant aucun préjugé, Yvré dit qu’il va à Huelgoat.

Il s’installe. Le tracteur parti, la Spitfire démarre, plaque Yvré sur son siège. Il remarque alors, fixé au tableau de bord, un Saint-Christophe en métal émaillé. Pour combattre sa néfaste influence, discrètement, il se signe à rebours.

Rugissante.

La voiture file, avale les kilomètres, efface les arbres, les murs, les maisons, les bars de bord de route, les stations d’essence, les panneaux de signalisation, les ponts… Elle poursuit les véhicules qu’elle perçoit en devant d’elle, les double dans un hurlement effroyable. Elle s’emballe, prend le volant aux dents. Peu rassuré, Yvré, du coin de l’œil, regarde, de temps à autre, le compteur de vitesse, puis le conducteur. Œil fixe, dents serrées, poings crispés au volant, buste penché vers l’avant, celui-ci manifeste sa grande maîtrise de lui-même, sa supériorité sur ses semblables. Une sorte de rayonnement surnaturel entoure son visage, halo fait de force, certitude et joie. Il semble un jeune dieu… Yvré n’aime pas les dieux: il sent monter en lui l’angoisse, boule de chewing-gum Hollywood trop grosse et trop mâchée, déglutie par inadvertance. Si le moteur n’émettait pas de longs rugissements diaboliques, il aurait pu entendre les moustiques dont des vols complets s’écrasent sur le parebrise.

Chateaubourg, le 14 mai, 16 heures 44.