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Écrits de Marc Hodges
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20 novembre 2015

Il attend qu’elle dise quelque chose

Il ne savait plus que faire. Devait-il lui avouer, tout de suite, au milieu de la foule se dirigeant vers les trains, qu’il était tombé amoureux d’elle, qu’il ne voulait pas la perdre, essayer de la retenir ? Des phrases se forment dans sa tête : « Ne partez pas, restez avec moi, je vous aime, ne me quittez pas, ou promettez moi de me rejoindre, permettez-moi de vous rejoindre plus tard… » Mais pourquoi plus tard, il sait qu’à cause de sa sonde il ne peut rien lui offrir maintenant, qu’il ne se sent pas le droit de lui imposer ses problèmes physiques. Ce serait beaucoup plus simple de pouvoir l’inviter à venir passer quelques jours avec lui, chez lui mais il ne le peut pas. Et il a trop vécu, a trop d’expérience, pour ne pas se rendre compte du ridicule de la situation. Il n’est pas vrai qu’on peut être amoureux à soixante dix ans comme on peut l’être à vingt, abandonner toute dignité, tout orgueil, toute pudeur, se mettre à genoux dans la foule des voyageurs pour dire ce qu’il brûle de dire : la vie a imposé la dureté de ses expériences et il sait qu’un rejet, un refus, un rire le feraient beaucoup trop souffrir. S’est installée en lui une pudeur à avouer ses sentiments qui le paralyse et fait de chaque pas vers le TGV une souffrance. Il espère qu’elle dira quelque chose d’elle même, mais elle ne dit rien. Il attend qu’elle lui dise quelque chose comme « voici mon adresse, mon numéro de téléphone, je serais ravie de vous revoir… ». Mais elle ne dit rien, elle a toujours le même sourire, elle le regarde de la même façon mais elle ne dit rien, elle ne semble pas, comme lui, vouloir retarder le moment de leur séparation. Elle avance calmement vers le train ne semblant même pas s’étonner qu’il la suive jusqu’au bout. Il se dit alors qu’il s’est trompé, qu’il a construit des illusions comme une certitude parce que la solitude lui pèse, parce qu’il aurait envie que quelqu’un, à nouveau, l’aime et partage sa vie avec lui. Le passage des ans établit-il dans la vie un seuil, une frontière au-delà de laquelle toute construction sentimentale devient impossible ? Ils sont sur le quai où son train est mis en place. Il lui dit qu’il faut composter son billet. Elle composte son billet. Sa place est au milieu de la rame. Elle ne s’étonne pas qu’il la suive jusque là. Il semble qu’elle ne s’étonne de rien, qu’elle vit sa vie avec une simplicité naturelle comme si toujours, tout, pour elle, allait de soi. Elle sourit. Il l’aide à porter ses valises à l’intérieur du train. Elle ne proteste pas comme s’ils avaient toujours vécu ensemble. Le chef de train annonce que le train va partir, qu’il doit quitter le train. Il aimerait rester, partir avec elle mais sa sonde, l’opération prochaine. Il ne peut rien faire contre ça. Impensable d’aller se faire opérer à Zürich ou Vienne. Il a envie de l’embrasser. Elle lui tend la main, sourit, le remercie et ces mots lui sont une brûlure. Il descend du train, attend de le voir partir. Sa place est de l’autre côté du quai, il ne peut la voir mais il reste là jusqu’à ce que le train ait disparu, désemparé, vidé, perdu. Il a chaud, une sueur froide coule sur son visage. Un élancement au niveau de son sexe et la douleur revient s’emparer de lui.

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