État amoureux
Peu à peu nous nous isolions dans un bonheur qui, nous protégeant du reste du monde, nous rendait aveugle à ce qu'il avait de concret et de réel. Nous existions en dehors du monde et celui-ci existait en dehors de nous. Nous nous aimions, nous passions nos journées à faire l'amour" ce qui était moins un besoin de sensualité pure qu'un désir d'être au plus prés l'un de l'autre, si nous avions pu chacun de nous aurait accepté de dissoudre son corps dans celui de l'autre, à dormir quand nous étions trop fatigués, à manger un peu, n'importe quoi tant c'était devenu secondaire, à nous promener main dans la main dans les parcs et les bois où il nous arrivait de chercher encore un taillis isolé, un sous-bois moussu à l’abri des regards pour faire l’amour encore.
Nous oubliions le monde… il ne nous oubliait pas. En mai 1988, Gilberte a échoué à tous ses examens: elle eut, avec son père, qui jusque là ne s’était guére manifesté une conversation téléphonique trés dure. Elle était sans bourse et sans ressources propres. Il lui dit qu'il ne voulait pas continuer à l'entretenir de cette façon, que si elle voulait faire des études, il lui fallait réussir, qu'il ne comprenait pas ce qui se passait parce qu'elle avait toujours été jusque là une étudiante peut-étre pas brillante mais au moins moyenne… Bref il lui demandait des comptes.
Je gagnais peu d’argent moi-méme. Et je n’avais ni régularité ni certitude sur ce point. C'était la merde. Difficile de vivre à deux sur mes maigres ressources. Il allait falloir prendre une vraie décision car nous ne pouvions plus nous laisser vivre comme nous l'avions fait l'année précédente. Ce qui était sûr, c'est qu'il était hors de question de se séparer. Gilberte en informa son père dans une conversation téléphonique plutôt houleuse: — Je veux vivre avec Marc ! — Je ne connais pas de Marc… Je ne veux pas le connaître — Mais papa — Il n'y a pas de mais ou tu finis tes études et nous parlerons sentiments après ou tu fais ce que tu veux mais alors il ne faut pas compter sur moi. — Papa ! — Tu ne m'auras pas par les sentiments… Je n'ai ni temps ni argent à perdre. Tu es assez âgée pour prendre tes décisions mais ne me prends pas en otage… Rappelle-moi quand tu auras réfléchi. Il avait raccroché
Je dois avouer que, jusque là , c’est plutôt l’argent de Gilberte qui nous permettait déassurer le quotidien. Je n’avais pas peur de travailler mais je ne savais rien faire. Mon passé ne me donnait aucune référence sérieuse et l’écriture me permettait juste de vivoter tout seul. J’assurais le gîte. Pour le couvert c’était plus difficile… Ne parlons pas de superflu. Par ailleurs je n’avais pas envie que Gilberte travaille. Elle n’avait jamais travaillé. Destinée à la petite entreprise familiale, elle n’avait pas appris grand chose et, de plus, je voulais la garder avec moi le plus longtemps possible. Notre bonheur était un peu froissé.
PS. Dans tout ça, j’ai un peu délaissé Balpe et vous devez vous demander où nous allons. Patience…