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Écrits de Marc Hodges
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1 novembre 2009

l'instituteur et la musique (9)

J’étais tellement heureux de ce témoignage de considération que j’ai fait une folie et me suis acheté un disque dont j’avais entendu parler à la radio : La création du monde de Darius Milhaud. Pour pouvoir l’écouter, ça a été tout un problème, il a non seulement fallu que, pendant un mois, je mette des bonnes notes à Fernand, le fils de l’électricien (et ce n’était pas facile de trouver de bons prétextes car, assez turbulent, peu intelligent, ce gamin profitait de ma soudaine amabilité pour mettre du désordre dans ma classe, ce qui était très gênant car je devais feindre ne pas le voir) mais encore que je courtise discrètement sa mère (elle a, au-dessus de la commissure droite des lèvres un énorme point noir — un grain de beauté ?— sur lequel poussent trois très longs poils jamais rasés qui m’ont toujours dégoûtés) tout en offrant souvent à boire au père (un fort buveur celui-là) qui commence dès le lever du lit et ne termine que lorsqu’il n’a plus la force de bouger) afin d’obtenir que, pour une demi-journée (sous prétexte d’un essai en vue d’un éventuel achat) ils consentent à me prêter un électrophone d’occasion. J’ai donc écouté ce disque et, enthousiasmé, je pris de nombreuses notes, persuadé qu’il y avait un très grand roman à écrire sur la musique. Aussi, plus tard, je composai ce fragment : « Écouter, les yeux fermés, La création du monde de Milhaud, peut-être est-ce la seule action à laquelle ne résiste aucune mauvaise humeur. La lecture demande trop d’efforts physiques pour suivre lettres et mots, entre le message et les mots du message, elle interpose un écran de fatigue… Mais la musique, elle, lente, insidieuse, s’impose, pénètre jusqu’aux ultimes cellules du cerveau qui l’accueillent d’abord sans la comprendre, sans aucunement essayer de la maîtriser, la faire entrer dans des schémas préétablis de compréhension et qui, peu à peu, mais de façon irrésistible, se laissent envoûter par le rythme, le subtil retour des thèmes, leurs enchevêtrements infinis. Répétitions et variations, mémoire et surprise. Insistance veloutée des flûtes posant le voyage, soutenue par les solides voix des violoncelles et construites avec délicatesse par le triangle… Alors le corps entier devient musique, les doigts maladroits ne peuvent s’empêcher de battre la mesure, les mains de guider un orchestre imaginaire et, ce qui tout d’abord n’était que distraction, devient indispensable : l’âme, loin de tous ses soucis initiaux qui dès lors deviennent mesquins, ne respire plus que par la mélodie qui l’entraîne. Se produit comme un envol de l’être échappant soudain à la sphère du réel et, si ce charme cesse avec la symphonie, reste qu’elle en sort plus riche, plus pure. L’homme d’avant n’est plus l’homme d’après, il est le même plus la musique, le même plus la révélation de ce qu’il y a en lui de pureté, de jeunesse et de joie à vivre… »

Huelgoat le 5 juillet

 

 

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