Ne pas se poser de questions

Aucune démagogie, aucune complaisance, aucun apitoiement sur le mauvais sort. C'est honteux à quel point il ne fait rien. Même si le contrat nouvelle embauche était une opportunité supplémentaire, Ludovic aurait préféré travailler dans une ferme pour zoophiles qu’accepter le boulot de merde qu’on lui a proposé: c’était à Cuje, les machines faisaient "toudoum tchiiiiiii", ça puait le jus d'orange. Mauvais pour un alcoolo. Mauvais pour son système nerveux…

Il travaille au noir, ne fait que des trucs pas très propres. C'est vrai que c'est interdit. Mais qu'est-ce que tu veux faire d'autre pour gagner de l'argent? Il doit — juste pour quelques thunes — transporter demain une grosse lettre d’un bout à l’autre de Paris, ne pas poser de question, ne pas se poser de question. Elle sera déposée à son nom dans la nuit sur sa boîte aux lettres.

De plus il a reçu — cette fois à son adresse — un espèce de prospectus pour une maison d’édition La lettre volée dirigée par Charles-Michel Karakouli, le ton est plutôt celui de la menace, style «si vous voulez savoir ce qui arrive…». Aucune date, aucune légende, aucun moyen d'identification précis.

Le lien social est une illusion. Ludovic sent de plus en plus les regards qui se posent sur lui dès qu’il pénètre dans un bus ou un wagon de métro: c'est étrange, les gens le regardent plus que d'habitude, mais ce sont surtout des regards d'anxiété ou de suspicion. Trop c’est trop. Ludovic commence à se demander s’il ne devrait pas se tirer, aller au vert.