Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Écrits de Marc Hodges
Écrits de Marc Hodges
Visiteurs
Depuis la création 98 755
Archives
9 août 2016

Une queue de foule se pressait aux portes

— Gilet blanc, jaquette bleue, chapeau gris...

— Dieu ! Que Roxane est jolie en noir ! disait-il. Tout l’accablait en même temps, les années et le deuil... Qu'est-ce que ça ? Fatigue de l’oeil ou du cerveau, épuisement de la faculté artiste ou courbature du nerf optique ? Sait-on ! Il me semble que j’ai fini de découvrir le coin d’inexploré qu'il m’a été donné de visiter.

— J’ai cru que j’allais pleurer. Or, un matin, comme sa femme de chambre entrait et venait d’ouvrir les volets et les rideaux en demandant :

— comment va Madame aujourd'hui ?

 Elle répondit, se sentant épuisée et courbaturée à force d’avoir pleuré :

— Oh ! Pas du tout.

Deux fois par semaine au moins Abban dînait chez Roxane avec quelques amis ; le lundi, il la saluait régulièrement dans sa loge à l’Opéra ; puis ils se donnaient rendez-vous dans telle ou telle maison, où le hasard les amenait à la même heure. Et toujours Roxane l’interrogeait, vibrante de curiosité, les yeux fixés sur lui, l’oreille avide de ces choses un peu inquiétantes à entendre, mais si charmantes à écouter. Abban se releva, effaré, murmurant :

— Qu’avez-vous ? Ne me traitez pas ainsi, je vous aime !…

Alors, en quelques mots rapides et secs, Roxane lui signifia sa volonté, et régla la situation... Zamzama racontait à Hisham la présentation d’une ambassade nègre au Président de la République, quand Chahan fut annoncé...

— c'est très laid. Il est tard, je vais me coucher.

Mais cet appel continuait, incessant, insaisissable, presque irritant.

Chaque matin maintenant, dès que Roxane avait quitté son lit, elle se sentait dominée par un désir puissant de prier Dieu, d’obtenir de lui un peu de soulagement et de consolation. Roxane marchait à petits pas, disait à Abban ses remarques, ses réflexions sur les petits, sur les nourrices, sur les mères... Roxane s’était levée en prenant le bras de son voisin ; Abban offrit le sien à Bella, et on passa dans le grand salon. Tout à coup, impatienté de cette domination d’un souvenir, Abban répliqua en se levant :

— Roxane est stupide de m’avoir dit ça...

Une queue de foule se pressait aux portes, et, dédaigneuse de la sculpture, montait tout de suite aux galeries de peinture. La figure de Roxane s’éclaira de cette joie affectueuse dont les promesses et les cadeaux animent les traits des femmes ; les intimes, d'ailleurs, se retirèrent bientôt par discrétion, car elle leur avait seulement entrouvert sa porte, sitôt après son malheur. Abban dit aussitôt, encore ému de cette apparition qui avait séduit son oeil d’artiste :

— Ah ! En voilà une dont je ferais volontiers le portrait ; ce fut, pendant les premiers jours, un de ces désespoirs profonds qui ne laissent place à nulle autre pensée. Abban s’élança. Roxane regardait son mari avec des yeux larges, fixes, pleins d’épouvante... Un autre amour entrait, malgré lui, par cette brèche ! Un autre ou plutôt le même surchauffé par un nouveau visage, le même accru de toute la force que prend, en vieillissant, ce besoin d’adorer.

Publicité
Commentaires
Publicité
Derniers commentaires
Publicité