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Écrits de Marc Hodges
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1 avril 2016

Fiction ou autobiographie

Dès mon premier roman, j’avais compris qu’un écrivain joue toujours au chat et à la souris avec la vérité car il poursuit ses fins propres et, pour cela, ne peut se laisser entraver par l’exactitude des faits qu’il relate. Le mensonge par lequel j’inaugurais alors ce que je comptais présenter comme une autobiographie m’entraînait inévitablement vers un accroissement des affabulations et je dois avouer que j’y trouvais une certaine satisfaction. Le personnage que j’inventais en partie me semblait plus proche de celui que j’aurais aimé être. Pourquoi écrire en effet si ce n’est pour se raconter sans se dévoiler. Le mensonge devenait vrai : je m’inventais orphelin et, qui plus est, orphelin dans des circonstances troubles ce qui ajoutait à ma vie, somme toute banale, une pincée de romantisme. Je n’avais pas peur d’une vérité sans réel enjeu, mais, fils d’instituteur pour un écrivain, manquait de panache alors que fils de rien, enfant de la rue, se conciliait bien mieux à l’écriture : les souvenirs ne valent que par les fonctions qu’ils remplissent dans le présent de leurs évocations. Et même si je me promettais de parler de moi, de rapporter ma vie — à l’époque bien courte encore — sans cesse surgissait la tentation du mensonge attirant doucement mon récit vers la fiction, ce qui, paradoxalement, me contraignait à aller plus profond dans l’auto-analyse : qu’est-ce qui me poussait à écrire et qu’est-ce qui me poussait à écrire sur moi, bien plus, en quoi ce que je pouvais écrire ainsi pouvait présenter le moindre intérêt pour quiconque ? Je sentais bien que, si je voulais faire « œuvre », je devais, par l’écriture, répondre à ces deux questions et que, soit je m’enfermais dans des confessions, dans une mise à plat de mes questionnements psychologiques, soit je créais de toute pièces, sur la base de quelques anecdotes qui me semblaient dignes d’intérêt, une vie d’aventures.

Aujourd’hui où je n’ai plus d’autre but dans la vie qu’attendre le plus paisiblement possible qu’elle s’achève, que tuer ce temps qui me tue, je sais enfin qu’écrire n’est pas vivre, mais survivre et que je cherchais à cette époque n’était rien d’autre, dans les banalités de ma vie quotidienne, que de me donner un motif de continuer à exister car je n’étais vraiment que dans les temps où j’écrivais. Si je croyais alors décrire la réalité, même malgré les mensonges que je lui appliquais — mais toute vie est-elle autre chose qu’une suite continue de hasards permettant de penser que ce qui aurait pu être est aussi vrai que ce qui est —, je sais aujourd’hui, me donnant comme visée de vie ce désir irraisonnable d’écriture, que je ne faisais que m’en construire une. Avec l’expérience, quand je regarde cette époque de mon adolescence, je pense de plus en plus que je ne pouvais alors écrire à partir d’un miroir — car le rapprochement phonétique avec le mot « mouroir » qui me vient maintenant en tête est bien plus qu’un hasard. Se contempler n’est-ce pas anticiper sa mort ? Or, à cette époque, j’étais bien incapable d’avoir une telle lucidité et je poursuivais avec obstination mon désir autobiographique sans me rendre compte que, même s’il connut après sa parution, un certain succès de librairie, cette vie que je racontais n’était qu’un artefact qui, page à page, racontait une enfance en grande partie affabulée et qui, pourtant, n’intéressa les lecteurs d’alors que parce qu’ils crurent y trouver l’image de ce qu’ils imaginaient avoir vécu ou, mieux encore, celle symbolique de l’époque dans laquelle ils avaient vécu.

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