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Écrits de Marc Hodges
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16 février 2016

mémoire, anecdotes et universel

Si aujourd’hui la mémoire oscille en moi, vibre comme une onde tantôt se révélant, tantôt s’occultant, il n’en était rien alors, mon enfance était encore toute proche et pour une part, c’est cette proximité qui me poussait à la déposer sur le papier car je craignais que, avançant dans le temps, les souvenirs qui m’étaient alors limpides ne s’estompent dans le temps. Un sentiment déjà fort de l’irrémédiable des pertes. J’avais bien entendu raison et, si je n’avais pas fait cela, je me rends bien compte avec le recul que je ne me souviens plus aujourd’hui, en grande partie, qu’à travers ce que j’ai écrit alors. Pourtant j’avais une vraie ambition d’écriture au travers de laquelle je recherchais une vraie ivresse et ne voulait en rien n’écrire que pour moi-même : je visais des lecteurs et, si possible, en nombre. Il y avait là une certaine contradiction car qui pouvait bien s’intéresser alors, dans l’époque si trouble où nous vivions, à l’enfance et l’adolescence d’un jeune mendois né dans un milieu très modeste et sans ressources. Je savais qu’il me fallait dépasser l’anecdote pour atteindre un certain universel, faire que ma vie tout en étant particulière, soit d’une certaine façon celle de tout le monde ; faire en sorte que mes lecteurs, jeunes ou vieux — je ne visais en rien un public de jeunes lecteurs, notion d’ailleurs anachronique à cette époque où les enfants ne disposaient presque pas d’ouvrages à eux seuls destinés. Aussi je refusais les modèles comme la comtesse de Ségur qui ne fonctionnait que parce qu’elle faisait partager à ses lecteurs un milieu qui leur était inaccessible ou ceux de la toute récente bibliothèque verte, première prise en compte d’une écriture destinée aux enfants. Je devais donc tricher, transformer des petites aventures banales en quelque chose comme des récits mythologiques contenant, sans pour autant le dire clairement, une part de philosophie.

Dans cette petite ville de Mende, livré à moi-même par le quasi abandon de ma mère et l’âge avancé des grands parents qui m’élevaient, je menais une vie de petit bohème un peu voyou, forte tête et indiscipliné. Ce personnage, mi-vrai, mi-inventé, me semblait ouvrir par lui-même sur un espace de réflexions : la confrontation d’une société fermée sur elle-même, sclérosée, égoïste avec une conscience libre et rebelle. Je cherchais donc dans mes souvenirs les moments les plus susceptibles de signifier cela. Pour cela, je m’étais contraint à écrire chaque jour, sans aucun souci d’ordre chronologique, une anecdote sur une page puis de la mettre de côté pour la relire ultérieurement de façon à ne retenir que telle ou telle d’entre elles. Aussi sur plusieurs centaines d’entre elles je n’en retins environ qu’un quart auxquelles, dans un deuxième temps, je donnais un ordre qui ne se voulait pas chronologique mais littéraire n’écrivant qu’ensuite le lien qui les unissait. C’est ainsi que je mis en tête une confrontation avec une voisine de mes grands parents alors que j’avais déjà presque dix ans.

J’ai déjà dit que nous habitions le premier étage d’un vieil hôtel particulier délabré. Le rez-de-chaussée était occupé par une papeterie tenue par une dame d’une quarantaine d’années dont le mari, tailleur, avait son atelier au dernier étage de l’immeuble d’en face. Ce ménage avait trois enfants : l’aîné qui avait alors presque vingt ans, une fille d’environ douze ans et un garçon de mon âge qui était un de mes complices habituel de jeux. La plupart du temps, la fille nous ignorait comme nous l’ignorions, quant à l’aîné il jouait le rôle de père de substitution en profitant pour martyriser son jeune frère plus que de raison. Les chambre de cette famille se situaient au quatrième étage, juste sous les greniers et les combles.

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