Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Écrits de Marc Hodges
Écrits de Marc Hodges
Visiteurs
Depuis la création 98 752
Archives
20 décembre 2015

Notre appartement

Il faut dire que l’appartement où nous vivions n’avait rien de très agréable. Toute notion de confort en était en effet absente. Nous occupions tout le premier étage d’un ancien hôtel particulier du dix septième siècle : les pièces étaient immenses, les plafonds très haut, l’escalier d’accès majestueux avec ses parois de faux marbre et les balustres de son vaste escalier de style Louis XIII, les fenêtres étaient gigantesques, les caves étaient profondes et les greniers vastes. Tout cela avait dû être extrêmement luxueux. Mais, lorsque nous y habitions, la peinture de marbre des escaliers tombait en écailles, les balustres de pierre avaient disparu pour, dans le meilleur des cas, être remplacées par des copies de bois, les larges marches des escaliers étaient usées, les fenêtres, déformées au cours du temps, ne fermait plus bien, il était impossible de chauffer l’appartement et, comme nous occupions ce qu’on appelait autrefois l’étage noble, nous ne disposions ni d’une véritable cuisine, ni, surtout, d’une salle de bain. Les plafonds montraient des faiblesses, les WC, installés entre le premier et le deuxième étage devaient être partagés avec les locataires au-dessus de nous, le plancher du grenier était, par endroits, peu sûr et les caves sans éclairage. Souris, rats, blattes établissaient dans ses immenses espaces pleins de trous, de portes plus ou moins bien condamnées, d’espaces tellement abîmés que nous les avions dissimulés derrière des rideaux, de véritables cités où ils régnaient en maîtres au grand désespoir hygiéniste de notre instituteur de père. Le lieu qui m’était réservé, une des cinq chambres disponibles, était immense, donnait d’un côté sur une cour intérieures servant de dépotoir au commerçant locataire du rez-de-chaussée et n’était séparée de la chambre de mon frère que par une mince cloison dont la partie supérieure était vitrée créant entre nous une complicité nocturne involontaire. J’y disposais d’un lit de cuivre portant un immense édredon de plumes car en hiver il n’était pas rare que l’eau de la cuvette dans laquelle je faisais mes ablutions matinales soit gelée, d’une bibliothèque, en fait une porte condamnée, transformée d’abord en placard mais séparée de la chambre d’un voisin âgé que par une mince cloison de bois ce qui m’offrait l’avantage de l’entendre, la nuit, pisser dans un seau métallique, ronfler avec vigueur et consacrer plusieurs quart d’heures, à son réveil à éructer ou à tousser violemment. Bref je partageais toutes ses aventures physiques. Mais dans la journée, quand mon frère était au collège, que mon voisin était aller à la pêche ou se chauffer au soleil, j’y étais très tranquille et pouvais profiter du vieux bureau copie de style Louis Xiii que mon père avait, pour moi, acheté je ne sais où. Cette chambre était ma forteresse d’autant que, privilège extraordinaire, elle bénéficiait non seulement d’un accès dans l’appartement mais également d’une porte, certainement autrefois une porte de service, qui ouvrait sur un petit escalier me permettant d’entrer et de sortir sans que nul occupant de l’appartement ne puisse s’en douter. Je pouvais y entretenir à loisir le sentiment romantique de solitude dans lequel se complaisait mon adolescence et si tout cela contribuait à la dépression de ma mère dépassée par tout ce qu’il aurait fallu faire au quotidien, j’y trouvais un certain équilibre. Je ne pouvais vraiment y recevoir personne mais je m’étais persuadé que je n’avais, de toutes façons, personne à recevoir d’autant que, depuis que j’avais fini mes études lycéennes, je n’avais plus aucune obligation de la moindre vie collective. Toute ma société se partageait entre mes quelques visites au père Joseph et celles, plus fréquentes à Raymond Lachance, le bouquiniste.

Publicité
Commentaires
Publicité
Derniers commentaires
Publicité