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Écrits de Marc Hodges
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17 octobre 2015

la Gare de Lyon

Il l’a tout de suite remarquée. Pourtant elle n’a pas grand chose de remarquable, c’est une femme plutôt petite d’une élégance maladroite avec sa grosse veste rose passé et ses valises, une petite sur une plus grande qu’elle traîne dans les couloirs mais son visage est rayonnant et sa chevelure un peu folle lui fait comme un halo de lumière. Elle doit avoir dans les cinquante ans, elle semble un peu perdue, d’ailleurs elle s’adresse à une femme qu’elle a arrêté dans le couloir. Il s’est approché, il entend qu’elle demande avec un accent qu’il pense espagnol ou italien la gare de Lyon. La femme lui indique un couloir. Il sait qu’elle va se perdre car ce couloir donne sur beaucoup d’autres couloirs tout aussi mystérieux pour quelqu’un qui ne prend jamais le métro. Il la suit discrètement tout en restant assez proche. Elle marche très lentement, ses valises semblent lourdes. Elle s’arrête à un nouvel embranchement de couloir, regarde à droite, à gauche, ne sait manifestement le quel prendre. Il s’approche d’elle, lui dit en italien : — Penso che si vuole andare alla Gare de Lyon ? Elle n’a pas l’air de vraiment comprendre. Elle le regarde en souriant, pas du tout inquiète. Elle semble tout à fait confiante, ne pas redouter cet étranger qui vient de s’adresser à elle de façon aussi cavalière. Elle hoche la tête : — Gare de Lyon, si, si… Il répète en espagnol : — Creo que quiere ir a la Gare de Lyon. Elle sourit encore, son visage un peu rond lui paraît lumineux. Il se sent étrangement bien à parler à cette femme, en oublie les fourmis qui lui dévorent le bout du sexe, le tuyau qui donne des plis à son pantalon. Elle lui dit : — vous parlez espagnol ? Il dit : — Oui, ajoute et je vais à la gare de Lyon moi aussi, si vous voulez je vous montre le chemin. Elle dit : — C’est très gentil, merci. Il passe devant elle. Au premier escalier, il prend d’autorité les valises. Elle a un petit mouvement de recul comme si elle craignait soudain qu’il les lui vole mais sa résistance est presque insensible, très brève. Elle se laisse faire. Il aime bien cette confiance qui s’installe ainsi presque spontanément. — D’où êtes-vous en Espagne demande-t-il sans craindre du tout d’être indiscret, comme si entamer une conversation était tout à fait naturel. Elle répond : — Je ne suis pas espagnole, je suis Argentine et ajoute alors qu’il ne lui demande rien de plus, je viens d’un tout petit village à 200 kilomètres au sud de Buenos Aires. Je voyage quelques temps en Europe. Ils rentrent dans une rame, lui trouve une place où ses valises ne gênent pas trop, reste debout à côté d’elle. Il sent qu’elle s’abandonne à lui, qu’elle le suivra où il l’emmènera. Il l’emmènera Gare de Lyon. Il ose lui demander : — Où allez-vous à partir de la Gare de Lyon. Elle dit : — Venise. Je vais à Venise. Elle le regarde, sourit toujours comme si le sourire était la marque de sa nature profonde mais elle ne lui demande rien. Il dit : — Il y a longtemps que vous êtes en Europe ? Elle dit : — Un mois, j’ai visité Londres, Lisbonne, Madrid, Berlin, Vienne, Paris. Maintenant je vais à Venise, puis j’irai à Rome… — Ça fait beaucoup de voyage. — J’aime voyager et puis, j’ai tout mon temps. Je reste encore un mois puis je rentrerai chez moi. Il est étonné, émerveillé de la facilité avec laquelle ils ont établi un contact confiant. Il y a si longtemps que depuis la mort de sa femme, trois ans auparavant, il n’avait pas parlé ainsi à une femme.

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