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Écrits de Marc Hodges
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1 octobre 2015

il ne va pas se laisser aller

Enfin, enfin, l’attente prend fin. Un chirurgien est venu qui lui a fixé un rendez-vous pour une opération dans dix jours. Il peut quitter l’hôpital. On le laisse seul. À lui maintenant de se débrouiller. Il s’habille comme il peut car il n’avait pas prévu qu’il allait repartir avec une poche de plastique collée à sa jambe droite et un long tuyau relié à son pénis. Il lui faut réussir à faire entrer tout cet appareillage dans son pantalon or il aime les pantalons serrés et iul ne veut pas que l’on puisse soupçonner ce qu’il porte. Il lui faut trouver comment disposer tout cela, cacher le robinet de vidange sous sa chaussette droite, trouver un petit enroulement du tuyau qui ne crée pas une bosse trop visible. Or tout mouvement de ce tuyau provoque comme une brûlure sur son gland. Il utilise des bandes velpo qui sont à sa disposition, du sparadrap, n’importe quoi qui peut servir à construire comme un corset le moins inconfortable possible. Fini. Il s’en va, remet son « bon de sortie », revient dans la vraie vie.

Il est cinq heures de l'après-midi, il fait beau, il ne va pas se laisser aller, s’apitoyer sur lui-même, décide de rentrer chez lui à pied. Normalement le trajet ne dure qu’une petite heure. Seulement, pas si facile que ça de marcher avec tout son assemblage de sonde, tuyau, poche : chaque émission d’urine le brûle, la poche qui se remplit sans qu’il ne puisse rien contrôler, devient de plus en plus lourde et, craignant qu’elle ne finisse par devenir visible au bas de sa jambe, il doit aller dans un café pour la vider. Il est un peu déprimé. Une part de son corps qui, jusque là se laissait ignorer ou qu’il croyait contrôler parfaitement lui échappe et il a du mal à l’accepter. Il se demande jusqu’où il sera capable d’accepter cette déchéance et, si nécessaire, s’il aura le courage de se supprimer avant de devenir une loque humaine. Il est sûr qu’il n’acceptera pas de finir comme objet inerte de la médecine comme sa femme mais est-il sûr de savoir quand le moment sera venu avant d’être complètement dépendant d’autrui ? Il commence à réfléchir comment se tuer, conclut que l’étouffement dans un sac de plastique est le moyen le plus simple et, semble-t-il assez efficace. Sortant du café, il construit dans sa tête tout un scénario de suicide : d’abord faire son testament, prendre toutes ses dispositions pour ne gêner aucun de ses enfants, rédiger au dernier moment pour que personne n’ait le temps de l’arrêter dans son projet une lettre envoyée par la poste à chacun de ses enfants disant où trouver son corps. Il fixe le moment : attendre l’opération, attendre les suites de l’opération, voir comment son corps réagit et, en fonction de cela, prendre la décision d’agir ou de retarder l’échéance car il aime la vie et c’est pour cela qu’il ne veut pas vivre affaibli, encore moins dépendant. Mais, quoi qu’il en ait, la marche le fatigue, les tiraillements sur son texte que, peu à peu, provoquent ses pas le gênent. il lui faut abdiquer encore un peu de son orgueil, accepter de ne pas aller à pied jusque chez lui.

Passant devant une bouche de métro, il se dit qu’après tout, prendre le métro ne sera qu’une faible concession à la réalité de plus en plus impérieuse de son état. Il descend dans le métro.

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