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Écrits de Marc Hodges
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31 août 2015

Une banale envie de pisser

Décidément non, il n’avait pas encore atteint le niveau de conscience et de contrôle de soi qu’il espérait. À la sortie de ses trois venues successives aux urgences de l’hôpital, il était bien obligé d’en convenir et d’accepter qu’une grande partie de son corps représente pour lui des continents inaccessibles à ses explorations mentales même si, jusque là, convaincu de la suprématie du cerveau sur tous ses autres organes, il croyait, par ses fréquentes expériences d’introspection et de méditation, maîtriser en grande partie leur comportement. Il n’était d’ailleurs pas loin de croire que si, pendant plus de soixante dix ans, il n’avait jamais eu la moindre maladie et s’il avait pu supporter assez facilement des douleurs vives comme un abcès dentaire ou une fracture ouverte de sa jambe droite, c’était en grande partie dû à son entraînement constant à domestiquer par une écoute attentive et une approche de pleine conscience leurs comportements et manifestations diverses. Aussi, sortant d’une nuit en observation se sentait-il à la fois humilié et sali car contraint de porter pour quelques jours une sonde urinaire, grande poche en plastique transparent fixée sur son mollet droit où son urine, par un long tuyau, se déversait en un petit flot continu lui rappelant sans cesse que sa pensée de lui-même n’avait jamais eu accès à cette prostate qui deux jours auparavant s’était soudain imposée avec brutalité comme parfois surgissent dans l’océan des îles nouvelles dont il faut bien prendre la réalité en compte.

Deux nuits auparavant, vers trois heures du matin il avait été éveillé par une envie d’uriner, il n’y avait là pour lui rien d’anormal car depuis bien longtemps il en était toutes les nuits de même. Au début, il s’était efforcé de se fatiguer par une pratique intensive de sports : marche, natation, cyclisme… et si cela avait d’abord fonctionné, l’effet s’était très vite estompé. Ses réveils nocturnes étaient désormais inévitables, même après deux kilomètre de nage ou quatre vingt dix kilomètres de vélo. C’était un signe de vieillissement qu’il avait intégré dans son espace mental comme la raréfaction de ses cheveux de plus en plus blancs et transparents, les rides qui plissaient son front, les taches brunes sur sa peau, l’affaiblissement de sa vision et autres indices d’une inévitable sénescence qu’il acceptait dans la mesure où elle n’affectait en rien son mode de vie physique. Il était donc sorti confiant de sa chambre pour se rendre tranquillement aux toilettes et se trouver face à un problème inattendu : il ne parvint pas à uriner. Il avait beau respirer lentement, se détendre, penser sa vessie, prendre un livre… rien n’avait agit : il ne pouvait pas pisser. Il savait bien que cette impuissance arrivait souvent aux hommes d’un certain âge, mais il n’avait jamais pensé que cela pourrait lui arriver à lui. Ce grain de sable dans ses rouages biologiques le déstabilisa un moment puis, il se convainquit que ça ne pouvait être que passager et il retourna se coucher. Cependant il n’avait plus sommeil. Très vite il lui fallut reconnaître qu’il y avait là quelque chose d’anormal. Il se recoucha et se mit à lire car la lecture nocturne fatigant sa vue faiblissant l’amenait d’habitude très vite à trouver le sommeil.

Cependant, cette fois là, sa vessie parlait. Il sentait à son niveau une pression de plus en plus forte et une tension étrange au bas de son ventre. Il dut accepter que l’envie de pisser devenait impérieuse.

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