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Écrits de Marc Hodges
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11 avril 2015

une influence décisive

Il s’arrêta devant un tas d’ouvrages écroulés sur et autour d’une table, me regarda, dit « cherche ». C’était un ensemble d’ouvrages disparates sur les histoires locales qui allaient de la Revue illustrée de Bretagne et d’Anjou publiée en 1729 à La semaine Religieuse du Diocèse de Quimper et Léon de 1891 à La Confrérie des pénitents Blancs, délibérations 1800-1840. J’étais un peu perdu et je voyais bien que ça amusait le libraire qui me regardait faire sans rien dire comme s’il me testait. Au point où j’en étais, je ne risquais pas grand chose. J’osai intervenir : « il y a trop de documents, je ne sais pas… ». Il m’interrompit : « Tu ne sais pas ce que tu cherches exactement, c’est ça. On ne peut pas trouver si on ne sait pas ce qu’on cherche… » Mais je sentais qu’il n’y avait plus d’agressivité dans sa voix. Il attendait. Je dis « Je voudrais connaître un peu l’histoire de la ville » « Y a rien dit-il, ou plutôt il y en a trop, plein de petites revues qui contiennent plein de petites choses… Tu as un exposé à faire ? » « Non, pas un exposé… » « Alors quoi ? Tu veux devenir historien, tu as en effet une tête et une tenue d’enfant sage… » « Non, je… » « Je quoi… » Il me regardait fixement avec des yeux qui semblaient hésiter entre la curiosité et la méfiance. « J’écris un roman et j’aurais besoin d’en savoir un peu plus sur la ville. » Il parut soudain intrigué, amusé : « Un roman, toi, à ton âge… » Hésitant entre la timidité et la fierté, je prononçai un timide « oui ».

Il me regarda longuement sans rien dire. Je ne savais pas trop que faire puis il rompit le silence « Et tu as déjà écrit ? » Je lui racontait tout mon jeune passé d’écriture et, de plus en plus fier de moi, lui dit que j’avais même obtenu des prix et que j’avais été publié dans le journal local. « Alors c’est toi la petite vedette du petit journal de notre petite ville. Félicitations… » et il me tendit solennellement la main mais je sentais bien qu’il y avait sous cette félicitation beaucoup plus d’ironie que d’encouragement. Il ajouta : « Comment va s’appeler ton roman ». sans hésiter, je lui dit « El Che » ; « El quoi, d’où sors-tu ça, qu’est-ce que ça veut dire. » « Je ne sais pas, mais je trouve que ça sonne bien et puis que ça intrigue un peu, on devrait avoir envie d’en savoir un peu plus. » Je sentis que son attitude changeait. Il reprit « « Tu es vraiment passionné d’écriture ? Qu’est-ce que tu as lu… » Je lui fis une liste rapide de mes lectures les plus récentes. « Pas mal, mais très classique quand même, connais-tu Lautréamont, Rimbaud, les Incohérents, André Breton, Louis Aragon, dada… » Je lui avouais que non, que ces noms-là ne me disaient rien ; « Ça ne m’étonne pas, c’est pas dans cette ville emplie de trous du cul catholiques qu’on a pu t’en parler. Ce sont pourtant les meilleurs écrivains de notre époque. » Attends-moi un peu et il disparaît dans le fond de sa boutique. Quelques minutes plus tard, il revient avec une brassée d’ouvrages. « Regarde » et il me met sous le nez un ouvrage intitulé Chants de Maldoror publié en 1885 par un éditeur belge qui m’est totalement inconnu. « Tu dois absolument lire ça et ça aussi… et ça aussi… » et défilent tout un ras d’auteurs et d’ouvrages dont je n’avais jamais entendu parler. J’ose « ça coûte combien… ». Il affecte d’être vexé : « Rien dit-il, je te les prête… et ce n’est qu’un début, si ça t’intéresse, reviens me voir et je t’en prêterai d’autre et on en parlera. »

Que faire d’autre qu’accepter, remercier et partir lire très vite ces livres qui avaient éveillé ma curiosité. Ainsi commença une longue amitié qui eut sur ma vie une influence décisive.

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