Il cherche dans tous les coins

Barbe Bleue tend l'oreille et il va, vient — il se perd dans la nuit d'Ah-Cizin... Ce souvenir le poursuit ; le moment semble éternel, sa vie est partagée en deux : celle d'hier liée au souvenir et à la nostalgie ; celle de désormais, qu'il voudrait attachée à l'action et à l'avenir ; le tableau a la simplicité d'un chromo de calendrier des postes — il passe sans raison dans les antiques couloirs d'Ah-Cizin, Barbe Bleue va sans raison ; Barbe Bleue se souvient. Il ne rencontre jamais personne, Barbe Bleue monte ; il entend des geignements et il marche dans les couloirs du château d'Ah-Cizin — Barbe Bleue attend il ne sait qui ; Barbe Bleue marche et les phénomènes de mémoire sont étranges : présent et passé tendent à se substituer l'un à l'autre, Barbe Bleue marche — le monde est en dehors de lui.

Barbe Bleue voit les murs — Barbe Bleue marche... Il cherche ELLE — il regarde la vie avec une innocence et une fraîcheur infinies. Tel souvenir ont en commun le même mystère, il contemple les murs ; il vit dans la confusion, Barbe Bleue traverse les greniers et les souterrains, Barbe Bleue compte les marches des escaliers, les dalles des couloirs vides. Il traverse les greniers. Il monte des escaliers et Barbe Bleue cherche Barbe Bleue — il accomplit machinalement des quantités d'actes inutiles. Il cherche aussi Robur, appelle les frères et il ouvre toutes les portes — portes d'armoire, portes de placard, portes de la chambre ou de l'espace ; il perçoit des râles qui percent le silence si lourd du château... Il vit dans une impression curieuse de rêve — Barbe Bleue poursuit ses fantômes ; il se rappelle.

Il cherche dans tous les coins. Barbe Bleue traîne dans l'angoisse que diffusent de trop vieux souvenirs et il marche sans but, pour marcher, pour remplir sa tête de ses pas et il le rappelle vaguement la scène. Il y a des jours comme ça où il semble que la vie soit mise entre-parenthèses légèrement trouble — il se perd dans la nuit d'Ah-Cizin... Un groupe d'enfants replets joue à s'asperger dans la petite mare d'un parc à la française, il regarde dans tous les miroirs — il se cache. Il se perd dans l'ombre des couloirs et il accomplit des quantités d'événements inutiles et il Robur, il ne convoite pas autre chose et il passe, il va sans raison dans les antiques couloirs d'Ah-Cizin... Barbe Bleue cherche dans tous les coins... Le monde des adultes lui paraît être un tourbillon et Barbe Bleue cherche ELLE, appelle la jeune fille. Il appelle avec vigueur les soeurs et…

Il cherche dans tous les coins. Barbe Bleue ouvre toutes les portes — portes d'armoire, portes de placard, portes de l'espace ou du salon ; Barbe Bleue examine les murs, une dizaine de bambins blonds fait la ronde et Barbe Bleue revoit des scènes anciennes... Il marche. Barbe Bleue traverse la foule en courant, s'insinue dans son épaisseur. Barbe Bleue traîne dans l'inquiétude ; il cherche des clefs... Barbe Bleue entrouvre des vieilles portes ; Barbe Bleue avance dans tous les espaces du château d'Ah-Cizin et Barbe Bleue poursuit ses ombres ; regarde dans le vide... Barbe Bleue attend il ne sait qui et il ne désire pas autre chose ; il cherche ELLE, appelle Soeur Anne... Il compte les marches des escaliers, les dalles des couloirs vides... Courant au milieu des arbres, des troupes d'enfants se poursuivent dans l'herbe en souriant. Il entrouvre des vieilles portes et Barbe Bleue poursuit ses revenants.