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Écrits de Marc Hodges
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16 septembre 2014

banlieues

Il marche. Tous les jours il marche presque tout le jour. Il ne prend jamais les transports en commun, redoute les caméras de vidéo-surveillance, se dit qu’on ne sait jamais, se dit que dans la société où il vivait et à laquelle il essaie maintenant d’échapper, tout est sous contrôle. Que tout prétexte est bon pour accroître le contrôle et les instruments de contrôle. Il ne peut être sûr de rien. Il marche. À chaque carrefour il se demande dans quelle direction aller et si ses choix lui semblent la plupart du temps irrationnel, ses pas le ramènent toujours vers les banlieues pauvres, les rues à moitié en ruines, les grands ensembles sans âme. Il se dit que là personne ne s’intéresse à personne et que la surveillance officielle doit y être plus lâche. Mais il ne veut pas sortir de la ville. il pense qu’à la campagne chacun surveille chacun et que son arrivée inattendue dans un village quelconque ne passera pas inaperçue. Il marche, n’ose pas s’arrêter de peur qu’on se demande pourquoi il s’est arrêté. Il ensemble dans un centre commercial presque abandonné où une boutique sur deux est à louer ou à vendre. Des cartons encombrent les allées. Les wc publics où il est bien obligé de se rendre parfois sont des porcheries, l’odeur d’acétone de l’urine agresse le nez, les murs sont couverts de traces de merde, les chasses d’eau ne fonctionnent pas, les loquets des portes sont brisés et, bien sûr, pas de papier hygiénique, il faut faire comme l’on peut…

Il traîne dans les allées en faisant attention à ne pas repasser trop souvent par les mêmes mais dehors il pleut et ici, même si l’architecture en béton brut qui s’est voulue un temps futuriste a ménagé trop de puits de lumière qui sont autant de douches froides, il y est quand même davantage à l’abri. Il monte les escalators qui sont en panne, regarde une vitrine de boucherie hallal puis, trouvant que le boucher le regarde avec méfiance, se dirige vers un minable petit restaurant chinois « l’empire céleste » qui propose un buffet à volonté pour une somme dérisoire. Mais s’enfermer dans une salle lui semble manquer de prudence. Il fera comme d’habitude — c’est vrai que ça devient une habitude, se dit-il s’étonnant de la facilité avec laquelle l’être humain se coule dans de nouveaux moules — il achètera quelque nourriture dans une quelconque supérette tenue par un arabe ou un chinois habitués à ne jamais se poser de questions sur leurs clients. Il pleut toujours. Il pense tout de même qu’il ne peut pas rester là trop longtemps, feint de s’intéresser à une vitrine où s’affiche « biennale de poésie », se demande ce que la poésie vient faire ici, surtout cette poésie dont l’affiche est bien trop lêchée, esthétisante surmontant des livres de Maïakovski et de Mandelstam. Incongrüe. Il aurait pensé qu’en ces lieux la poésie devait être plus sauvage, plus hurlante mais il s’en fout, ce n’est pas son problème. Il va vers un bazar chinois débordant d’objets hétéroclites depuis des montres en forme de Superman à des balayettes pour chiottes en passant par des tournevis de toutes tailles. Il achète un parapluie dont il sait, s’il a de la chance, qu’il ne servira certainement qu’une fois. Mais il n’est pas là pour penser à un quelconque avenir. Il se contente de survivre seconde après seconde se demandant toujours d’où viendra le danger et quelle forme il aura.

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