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Écrits de Marc Hodges
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10 septembre 2014

Ce n'est qu'en écrivant que je me sens bien

La pulsion centrale des lecteurs de roman est une forme de voyeurisme décomplexée par le fait que celui-ci se présente comme une fiction, notion souvent très ambiguë. Quoi qu'il en soit, ce lecteur se délecte des vies qui lui sont données en pâture et qui, dans les cas les plus graves, lui interdisent de vivre sa vie propre. Je ne l’ignore pas et c’est cette simple constatation qui m’ôte toute pudeur : mettre son sexe sur les pages n’est qu’une des épices destinées à nourrir cette apétence à voir autrui, en l’occurrence l’écrivain, nu et lire ainsi à travers lui ses propres fantasmes, craintes ou phobies. Or, comme le dit Kierkegaard dans son Journal de 1847, "Ce n'est qu'en écrivant que je me sens bien. J'oublie alors toutes les vexations de la vie, toutes ses souffrances. Je me plonge dans la pensée et je suis heureux. Besoin d’écrire, espoir d’être lu, rien d’autre au fond n’a jamais guidé ma vie. Pourtant je n’abuserai pas ici du sexe. Bien sûr, jeune garçon j’ai eu de nombreuses autres expériences d’abord avec d’autres garçons de mon âge lors de sorties en forêt ou baignades en rivières, puis avec quelques filles que ma jeunesse et ma timidité naturelle jetaient sur moi comme pour remporter des défis. Mais ce n’est pas cela qui marqua profondément mon adolescence. Mes désirs, mes besoins, mes fantasmes les plus profonds étaient ailleurs d’autant que, contrairement au duc de Saint Simon ou à Alphonse de Chateaubriand dont j’ai relu les Mémoires, je me sens ridicule de ne pas arriver à me souvenir vraiment de ce qui m’est arrivé en 1934 — j’avais alors 12 ans et j’étais en quatrième —, 1935, 1936 ou 1937 alors qu’eux semblent n’avoir oublié aucun détail aussi petit soit-il de leurs vies, ne me reste de mes aventures sexuelles que de vagues souvenirs ayant même oublié les noms de la plupart de mes partenaires occasionnels.

Ce dont je me souviens par contre avec précision, c’est de la réaction de ma professeur de français lorsqu’elle annonça à la classe qu’elle allait lire elle-même ma rédaction la faisant par là même apparaître comme un texte digne d’être présenté à la classe, m’installant ainsi à mes yeux — je ne sais pas encore aujourd’hui si elle en avait alors conscience — comme un de ces personnages pour moi mythiques, un auteur de récit : « Je ne mets jamais vingt à une copie de français car je considère que pour obtenir cette note, il faut présenter un écrit digne d’un écrivain mais aujourd’hui je ferai une exception. Votre camarade Maurice Roman m’a présenté une rédaction que je ne devrais pas noter car elle dépasse les critères scolaires mais ne pas mettre une note serait une injustice, je lui ai donc attribué un vingt. J’ai longtemps hésité, j’ai même contacté son père pour savoir si il avait été aidé, j’ai demandé à mes collègues ainsi qu’à des lecteurs autour de moi pour savoir si ce texte n’était pas la copie, ou même le plagiat, d’une œuvre existante. Je n’ai rien trouvé… » À la fin de cette présentation qui stupéfiait mes camarades et tout en me donnant envie de me cacher sous ma table faisait naître en moi un énorme sentiment de fierté, elle s’approcha de moi — bon élève classique j’étais assis au premier range de la classe — me regarda dans le yeux et me demanda de lui jurer que ce texte qu’elle s’apprêtait à lire était bien de moi. Je la regardais et jurais. Alors elle remonta sur son estrade, s’assit derrière son bureau et commença à lire : « Il est dans toute vie des événements paraissant anodins dont la portée dépasse pourtant de très loin la réalité des actions qui les ont constituées. Comment oublier cette journée, de l’été de mes dix ans, qui aurait dû n’être qu’une journée quelconque, mais qui, laissée à des jeux d’adolescents m’a soudainement fait sortir de l’enfance… »

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