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Écrits de Marc Hodges
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27 août 2014

il n’est pas dans mes facultés d’écrire à chacun un récit différent

« Que vous ai-je fait monsieur — m’écrit ainsi une certaine Marie-Anne — , pour me refuser une réponse ? Etes-vous indigné, de l’application que l’enthousiasme de l’amitié m’a faite d’un nom, à qui vous avez donné la valeur d’un éloge ? Une Zita telle que moi, ne vous paraît-elle mériter aucun égard ? La teinte de sentiment que j’ai mise dans mon premier courrier, vous a-t-elle rebutée ? N’est-ce pas de l’esprit que vous voulez recevoir des hommages ? Est-ce celui de mon Angéla que vous avez favorisé ? Vous ai-je paru trop ambitieuse, de souhaiter d’être traitée comme elle ? Vous ai-je parlé trop franchement ? La vérité ne peut-elle se flatter d’être bien reçue de vous, parce qu’elle blesse toujours votre modestie ? Mais, ai-je besoin de chercher ailleurs qu’en moi-même, la cause de la désobligeante distinction que vous faites de moi ? J’y reconnais le caractère de mon étoile, rien ne me réussit : « Non comincia mai fortuna per poco, Quando un mortal si piglià à scherno e à giuoco », dit l’Arioste… »

« Ce qui m’enchante, m’écrit Madame Bernardoni, c’est que vous preniez les femmes pour des hommes, et les hommes pour des femmes : car enfin je m’étais promis de vous en faire l’aveu, un jour, ou l’autre, attendu que je ne veux pas me parer des plumes du paon, et voici la cas, ou jamais de cet aveu. Mon troisième mail, qui est le second que vous ayez reçu, était tout entier de mon mari, excepté le post-scriptum. Voici comment. Voyant Zita véritablement affligée de votre silence, nous imaginâmes lui, et moi, de vous en demander raison. Je dis que cela m’embarrassait parce que j’avais annoncé que mon dernier mot était de ne plus vous écrire, si vous ne me promettiez de travailler à la conservation des jours de Stanislas. Lui de combattre mon scrupule, moi de le soutenir, lui d’insister, moi, de ne pas en démordre. Enfin, mon homme (ces messieurs sont maîtres) prend le clavier, tapote le courrier que vous avez vu, et le pistolet sous la gorge, me force à le signer. Notez que ses pistolets sont des suppliques affectueuses : le moyen de tenir à cela ! Adieu, monsieur, je n’ose combattre en vous un parti pris ; mais votre résolution me désole… »

« Non, monsieur, si je ne dis ni ce qu’il faut ni comme il faut, qu’importe ? Ce n’est point de Pâcome que j’ai voulu vous parler, m’écrit Madame Alissan : il est trop célèbre pour que j’ai pu penser qu’entre toutes les personnes recommandables qui doivent s’intéresser à vous, aucune n’eût exigé de votre amitié que vous le consultassiez. L’homme que je désirerais que vous vissiez, quoique bien moins connu, le sera bientôt davantage, si vous voulez vous confier à ses soins ; et sa réputation qui n’est pourtant pas mon objet, sera d’autant plus flatteuse, qu’elle aura pour fondement la reconnaissance publique. Mes espérances à cet égard ne sont pas sans un appui capable de les justifier… L’amitié a ses erreurs comme les autres sentiments : mais elles sont toujours pardonnables ; et ne peuvent jamais être dangereuses, quand elles sont aussi visibles que l’est celle-ci. L’infortune attendrit l’âme, les gens heureux sont toujours durs. Je suis sérieusement inquiète monsieur : pourquoi ne m’écrivez-vous pas un mot ? »

« Je vous dois l’histoire de Zita, m’écrit une certaine Alissan ; et je vais vous la faire, avec d’autant plus de plaisir, que c’est ici l’instant où je serai vraiment intéressante. J’ai à vous dire d’elle de bien plus belles choses, qu’elle n’aurait pu vous en dire de moi : et j’espère que vous me baiserez la main aussi : du moins si vous croyez qu’un sentiment vaille une caresse. A la vérité vous jugerez mal de ce que vaut celui qui m’anime : car il est assez vif, pour que mes expressions n’y répondent pas. J’ai déjà fait une sottise, en donnant le nom d’histoire, au détail de ce que devrait être, de ce qu’est, et de ce que paraît Zita. Ce nom ne lui convient pas : il n’y a point dans sa vie, de ces événements frappants, qui rendent les efforts publics, et conséquemment moins difficiles. Cent fois plus rare, et plus estimable que le mien, son mérite consiste dans la constante pratique de mille vertus, que d’affreuses circonstances rendent obscures ; et on ne saurait mettre en question, si c’est au bien même, ou à la gloire qui en est le prix, qu’elle est si violemment attachée… Comment vous rendrai-je les perfections de son âme, l’élévation de ses sentiments, la droiture de ses intentions, la régularité de ses mœurs, l’étendue de ses lumières qui embrasse tous ses devoirs ? Voyez donc après ça ce que vous avez à faire. »

«  Dieu — dit Charles-Louis de Secondat baron de la Brède et de Montesquieu dans ses Lettres persanes — s’est choisi, dans tous les coins de la terre, des âmes plus pures que les autres, qu’il a séparées du monde impie, afin que leurs mortifications et leurs prières ferventes suspendissent sa colère, prête à tomber sur tant de peuples rebelles… » mais, ajoute-t-il plus loin : « En vain cherchons-nous dans le désert un état tranquille ; les tentations nous suivent toujours. ». Toutes choses contiennent ainsi leur contraire : vous écrire est une gageure, vous ne serez jamais pleinement satisfaits ; vous voulez être le singulier et la totalité : chacun croit que j’écris à lui en particulier alors que c’est à tous que je m’adresse et, bien que je m’y efforce, il n’est pas dans mes facultés d’écrire à chacun un récit différent.

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