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Écrits de Marc Hodges
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26 juillet 2014

une incompétence à vivre

Parler de ma vie, essayer d’en dire l’indicible, chercher à saisir l’inframince dans ses inévitables infinies répétitions. Cette autobiographie ne cherche pas à dire ce qu’il y aurait d’original, d’inouî, de stupéfiant dans une vie qui ne le fut en rien, mais à travers ce qu’il y a de profondément banal dans le fait de vivre sa vie, tenter de capter ces inssaisissables qui font qu’elle aurait pas pu être autrement, essayer de l’écorcher jusqu’à l’os.

Je sais maintenant, par exemple, qu’il est bien trop tard, que je n’ai consacré tant de temps à l’écriture que par une fondamentale incompétence à vivre, à accepter les moments de vie tels qu’ils m’étaient donnés. J’étais un trop bon élève, un enfant trop modèle qui n’a pas su empoigner les rares moments d’insolite ou d’originalité vitale qui m’ont été proposés. Le moule dans lequel j’acceptais que mon milieu m’enferme était bien trop parfait, cohérent, logique pour que j’en perçoive l’enfermement et que je me révolte. L’image de moi, cette image d’excellence, que mon milieu me renvoyait éteignait tout incendie possible.

Toute ma vie j’ai ainsi regretté de ne pas avoir eu l’audace de parler au garçon qui m’avait rendu visite cette nuit-là, de ne pas avoir accepté l’audace du plaisir qu’il m’avait offert comme une chance à saisir, une ouverture sur ce monde du désir, du sexe, de la jouissance dont j’ignorais alors presque tout. Dire que j’étais trop jeune n’est en rien une explication car, sur le moment, dans le ravissement de ce qui m’était apporté, je ne pouvais empêcher qu’un soupçon de crainte, de culpabilité, m’interdise la parole ou même — simplement — l’action de me retourner. Je transformais ce don en quelque chose comme un viol consenti.

Malgrè ce, dans les jours et les nuits qui suivirent, j’espérais que ce garçon qui était venu si tendrement à moi aurait, lui, la hardiesse que j’étais incapable d’avoir et se manifesterait d’une façon ou d’une autre. Bien que je me dise que c’était mal, que je devrais avoir honte, j’imaginais qu’une nuit il reviendrait aussi simplement dans mon lit pour me donner encore du plaisir. Bien sûr, il m’avait initié et dès lors il m’arriva de me satisfaire par moi-même. Mais ce n’était pas la même chose, manquaient l’échange et le mystère, la complicité, l’acquiescement aux actions de l’autre.

Pourtant il ne me vint jamais à l’esprit que j’aurais pu agir de même : aller la nuit dans le lit d’un autre garçon du dortoir, d’un autre des garçons que je trouvais beau et sympathique pour lui proposer du plaisir. J’étais incapable de la moindre effonterie, de la moindre acceptation de la vie comme elle s’offre, de la nécessité de saisir les occasions qui se présentent sans les juger au préalable et les passer au filtre de conventions morales. Vivre n’a jamais été pour moi l’acceptation sans préjugé de ce qui se présente, une ouverture de tous les instants à ce qui s’offre, aux infimes et multiples chances qui nous sont données de faire de la vie une fête des sens, une découverte active et constante. Pour moi, rien n’était donné, tout se méritait. Ma vie était déjà dominée par le devoir de faire qui occultait la nécessité d’être.

Il est trop tard maintenant : je ne peux que me rendre compte que ma vie, au fond, n’a été qu’une longue préparation à la mort.

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