Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Écrits de Marc Hodges
Écrits de Marc Hodges
Visiteurs
Depuis la création 98 755
Archives
21 août 2013

Ècrire

L’écriture, le besoin d’écrire, ce désir d’écriture qui ne me quitte pas me pose problème car je n’ignore pas ce que avoir de dérisoire cette activité si elle ne débouche pas sur des résultats économiques. Or, en ce qui me concerne, je n’ai jamais vraiment cherché à être publié et, si je l’ai été, cela a été la plupart du temps en dépit de moi-même dans la mesure où la demande est venue d’une institution ou, par l’intermédiaire d’un ami, d’un éditeur. Je n’ai presque jamais envoyé de manuscrit à qui que ce soit. Dans mon entourage tous s’étonnent du temps considérable que je consacre à cette activité alors que je n’essaie pas d’en faire quelque chose d’autre que l’écriture pour elle-même.
Il n’est donc pas étonnant, dans ce journal, que j’essaie de voir, sur ce point, un peu plus clair en moi-même. J’ai cherché des raisons externes, cherché au cours de mes lectures à trouver l’explication que d’autres auteurs donnaient à ce besoins. Ainsi, Lawrence Durrell — un auteur avec lequel je me sens en sympathie, écrit, dans Mountolive : « On écrit pour se refaire une innocence perdue » ; Maurice Roman, dans un de ces poèmes affirme : « écrire / c’est se mettre nu devant les / fantômes » ; Georges Perros, dans Papiers collés III : « Ècrire c’est ne pas pouvoir faire autre chose » ; Fernando Pessoa : « Mieux vaut écrire que risquer de vivre » ; Renaud Camus (Etc.) : « Écrire c'est lutter contre cet écart, qui fatalement se creuse, entre les mots et les choses; entre l'origine et le nom. » ; Claude Ollier (Cité de mémoire) : « On écrit contre quelque chose, on cherche à éviter plein de choses, éviter de mal écrire. » ; etc. Peu d’écrivains en effet qui ne se sont pas interrogés sur leur raison d’être de cette pratique et, bien entendu, autant d’écrivains autant de réponses différentes. Il est donc normal qu’aucune ne me convienne même si c’est, sur ce plan, de Georges Perros que je me sens le plus proche tant je suis persuadé que nous ne sommes que très partiellement libres de nos actes. Mais son affirmation laisse sans réponse la question existentielle qui la sous-tend : pourquoi ne puis-je pas faire autre chose ? Bien sûr j’ai fait autres choses, de nombreuses autres choses qui m’ont notamment permis de vivre, mais j’en suis toujours revenu à la nécessité absolue de l’écriture. Aucune des réponses des écrivains qui tentent de répondre à cette même question ne me satisfait vraiment : je ne crois pas au mythe de l’enfance qui me renverrait la nostalgie d’une innocence perdue, je ne crois être encombré d’aucun fantôme, ni chercher à rédimer l’imperfection du langage, ni vivre dans un inconfort mental qui m’amènerait à m’affirmer contre quelque chose… Alors ?…
Je porte en moi des voix, mon cerveau est sans cesse envahi de voix qui se parlent, se racontent, de phrases sans lien avec ce que je vis à tel ou tel moment qui se disent. Elles ne se disent pas contre moi ; elles ne sont non plus en rien mystiques. Ce sont des phrases simples, des fragments de récits, comme si je portais en moi plusieurs cerveaux dont la plupart échappent à me conscience, comme si j’étais le témoin accidentel d’événements linguistiques. Je ne suis pas fou. Je ne crois pas l’être car ces voix ne me dictent en rien mes actes, ces voix n’agissent pas, elles sont dans un monde parallèle, généralement assez incohérent par la fragmentation de leurs interventions, proches du mécanisme du rêve avec, cependant plus de cohérence. J’ai ainsi l’impression de vivre plusieurs vies : pleinement la mienne, marginalement et de façon purement verbale, celle d’autres entités qui cherchent à se manifester au jour. Ècrire m’est ainsi une délivrance, déposant ces voix dans la mémoire de mon ordinateur, leur donnant une harmonie qu’elles ne présentent pas avant l’écriture, je fais de la place dans mon esprit, le purge de ces parasites qui, sans cela, finiraient par l’emplir totalement. Ècrire est, pour moi, un comportement thérapeutique : j’écris pour pouvoir vivre normalement. Qu’importe alors que je sois lu ou non.

Publicité
Commentaires
Publicité
Derniers commentaires
Publicité