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Écrits de Marc Hodges
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2 août 2013

le dortoir

Je ne parlerai pas de toutes les obligations administratives qui désignaient pour moi cette entrée au lycée : appel solennel de l’homme dont je devais bientôt apprendre qu’il était le Surveillant Général, accueil rapide de Monsieur le Proviseur qui n’avait à la bouche que le mot travail, regroupement par niveaux d’études, accompagnement par un surveillant qui en était le responsable vers le dortoir qui nous était assigné, nouvel accompagnement pour deux heures d’études alors même que nous n’avions alors rien à étudier, le surveillant (un autre encore) nous autorisant « pour cette fois » à jouer à voix basse à des jeux calmes : morpion, pendu, dames, cartes, échecs, chacun devant trouver pour cela des partenaires alors même que nombre d’entre nous — les sixième, les nouveaux — ne connaissaient encore personne. J’étais jeune, timide, bien élevé, calme, gauche, à vrai dire un petit paysan mal dégrossi, bien que je ne fus pas le seul de ce type, le surveillant s’en aperçut vite car je restais assis, regardant le plafond, derrière le bureau que j’avais choisi le plus loin possible de celui, sur une estrade, du surveillant de la salle. Il vint vers moi : « Comment t’appelles-tu ? Tu es nouveau ? » « Oui Monsieur, je rentre en sixième, je m’appelle Maurice Roman… » « D’où viens-tu ? » « De La roche » « Connais pas, c’est loin ? » « Assez… » « Bon, je vais te trouver des camarades pour ce soir » ; Ce ne fut pas difficile, il choisit trois autres enfants qui semblaient tout aussi perdus que moi : deux entraient en sixième, le troisième entrait en cinquième mais, suite au déménagement de ses parents, venait d’Albi. « L’un d’entre vous a-t-il un jeu ? » Notre silence était éloquent. « Jouez au singe, dit-il, ce n’est pas difficile et ça renforcera votre pratique de l’orthographe » Aucun d’entre nous ne semblant avoir la moindre idée de ce qu’était ce jeu, il nous l’expliqua. Sans enthousiasme, à voix basse, impressionnés par la discipline que le surveillant, un jeune homme roux à moustache et regard bleu d’acier, maintenait dans la salle, nous avons joué plus d’une heure jusqu’à la sonnerie qui nous ordonnait de sortir de la salle, nous mettre en rang, suivre notre surveillant de dortoir et monter deux étages dans le vieux bâtiment autrefois ecclésiastique pour, sous les combles rejoindre le lit affecté à chacun de nous, nous mettre en pyjama, aller nous laver les dents, aux toilettes pour ceux qui en avaient envie, nous coucher et la lumière fut éteinte.
Pour la première fois de ma vie je me trouvais, dans une demi-pénombre, car de la « loge » du surveillant une petite fenêtre était éclairée, couché dans un petit lit assez dur, sans aucun point de repère, au milieu d’enfants étrangers dont j’écoutais — comme pour me persuader que j’étais bien là, que ma vie venait de prendre un virage définitif et que je ne devais rien oublier de cette nuit car aucune autre ne serait semblable — les respirations, les chuchotements, les soupirs, les toux plus ou moins discrètes, les ronflements de ceux qui s’étaient déjà endormis, les reniflements discrets de ceux qui se retenaient de pleurer, les froissements de draps et de couvertures, les grincements des sommiers métalliques. Je savais que désormais ce décor sonore serait le mien pour des mois et des années. Je fixai intensément le plafond cherchant une ombre, un signe, une lueur qui pourrait m’envoyer un message. En vain. Je ne sais pas quand je m’endormis.

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