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Écrits de Marc Hodges
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4 juillet 2013

de l'amitié

Mon amitié… Je ne vous cacherai pas que je regrette cette époque d’amitié absolue qui fut celle de notre jeunesse… Je me souviens toujours avec autant de nostalgie d’un soir d’été à Boukhara, nous avions vingt ans et la vie nous souriait. La lune rivalisait de taille avec les dômes des mosquées qui nous entouraient ; l’air était parfumé des odeurs des vendeurs de jasmin. Sur l’autre rive, une chanteuse modulait ses mélismes sur un k’ita de Navoi : «Si j’étais autre, je voudrais un ami. Où puis-je devenir l’ami d’un autre»… Nous étions sur une de ces curieuse tables-lits posées au bord du Labi-khaus où nous partagions un pilaf arrosé de vodka dissimulé dans une théière avec je ne sais plus trop quels jeunes poètes ouzbeks et, comme il se doit, nous refaisions le monde. Tout me séparait d’eux: la culture, la langue, la religion, le système politique, les habitudes de vie, l’éducation, les références philosophiques… et pourtant nous nous sentions en harmonie. À lui seul, Stanislas, prouvait l’unité des hommes… Et Stanislas était mon ami… Par lui je me savais accepté, regardé autrement que ces étrangers de passage, admis comme l’un d’eux, un peu différent peut-être mais guère plus que Romuald ne l’était de Khamid… Bien plus que de notre consommation d’alcool, nous étions ivres de la puissance de l’amitié… Je sais que jamais plus de tels moments ne reviendront et que, toute mon activité de façade, n’a d’autre but que de dissimuler son manque.

Encore un mail de Stanislas, plus fou encore que les autres. Je n’y comprends plus rien :

«Date : Wed, 30 May 2001 19:42:29 +0500
Subject : Re : Mail-roman « Rien n’est sans dire », courrier N° 50
To : Jean-Pierre BALPE <jbalpe@away.fr>
From : Stanislas <unknown@falseworld.tv>

Dans ces instants affreux, je n’ai plus rien à cacher. J’ai perdu ton cœur, crois-tu que je veuille de ton estime ? Oublie ce que je viens de dire ; oublie tant d’abaissement, de faiblesse, de pleurs… Oublie jusqu’à mon nom. Tandis que je meurs désespéré, tu t’occupes des projets de ton ambition et ce que je souffre est peut-être une jouissance pour toi… Tu es capable de m’envier jusqu’au plaisir de mourir… Ne m’écris plus, ne me réponds pas… »

Tout cela sonne faux, je ne reconnais pas dans ce texte le Stanislas que je connais et qui jamais ne s’abaisserait à des récriminations aussi féminines… Je n’ose croire que mon ami soit devenu fou et pourtant… Si c’est lui, si c’est bien lui qui m’envoie des mails de ce genre, la folie seule est une explication… Je l’ai, à Berlin, trouvé très exalté, à la fois abattu et totalement excité comme sous l’effet d’une drogue, mais je ne peux cependant croire qu’il en soit arrivé à ce point. Rien de tout cela n’est dans ses manières… ou alors il faudrait qu’il ait bien changé… mais je ne peux ni ne veux le croire. Mon admiration pour lui sur laquelle notre amitié était bâtie ne peut supporter une telle idée à moins de supposer que je me sois toujours trompé et cela je ne peux l’admettre car toute ma vie, tout ce qui fait que je continue à avancer malgré l’ennui de la routine quotidienne, malgré l’absence de plus en plus évidente d’inattendu, repose sur les souvenirs de ce que notre adolescence avait de lumineux et d’exceptionnel… Les longues marches dans le vent sur les landes d’Erigmore castle; les heures passées, dans l’humidité des embruns, à débattre de problèmes philosophiques perchés sur des récifs au-dessus des lourds remous de la mer du Nord ; les nombreuses pintes de stout bues en parlant de nos amours futures… voilà ce qui m’aide encore à vivre, à oublier l’ennui illimité des réunions techniques, la monotonie répétitive des conférences vides, la nécessité de paraître et de sembler trouver de l’importance à ce que je sais superficiel… Sans l’image de Stanislas, sans le souvenir que j’en ai, sans l’image que j’essaie encore de préserver, à tout cela je ne peux plus rien opposer.

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