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Écrits de Marc Hodges
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20 juin 2013

dernier recours

Blaise ne dit rien. Son visage occupe tout l’écran. Il semble chercher le regard de Laurence, ses yeux sont suppliants. Laurence n’y résiste pas, elle règle la caméra sur un gros plan de son visage, passe en visiophonie.

- Regarde-moi, Blaise, tu ne vas pas les laisser faire ?
- Qu’est-ce que je peux faire pour les empêcher ?
- Toi, rien… Mais qui te demande de jouer les sauveurs de l’humanité ? Il ne s’agit pas d’un film de série B. Il te suffit de prévenir la police. Ils sauront agir.
- Me transformer en indic ? C’est contre tous les principes de la nétiquette. Je me sentirais sale.

La voix de Laurence s’adoucit, elle veut être persuasive. Elle règle la caméra en gros plan sur son regard.

- Arrête de dire des bêtises, Blaise ! C’est pour ça que tes copains ont abandonné. Ils sont bloqués par leur culture cyberanarchiste primaire, le mythe de la fraternité du réseau… Ouvrez les yeux, bon Dieu !… Ça peut tenir quand vous vous amusez entre vous ou quand vous jouez le renard dans le poulailler pour contourner les règles des groupes de pression financiers. Pas quand il s’agit du sort du monde quand même. Tu ne vas pas laisser ces dingues nous imposer leur façon de vivre. Je ne peux pas croire ça de toi.

Blaise hésite un moment, son regard vert occupe la totalité du mur de la salle de bain. L’intensité lumineuse de ses pupilles dévoile une réflexion intense. Il se décide.

- Tu as raison. C’est un cas de force majeure. Puisque les autres m’ont laissé décider, c’est qu’ils acceptaient d’avance les décisions que je prendrais. Je vais tout balancer à Interpol.
- C’est pour ça que je t’aime, dit Laurence, parce que je sais que, même si parfois tu agis comme un enfant, tu prendras finalement toujours la bonne décision.

Blaise éclate de rire.

- Ça c’est bien toi, toujours prête à glisser une vacherie.
- Tu ne m’aimerais pas soumise, dit Laurence en lui envoyant un baiser de la main et en interrompant la transmission.

Avant d’envoyer l’ensemble du dossier à Interpol, Blaise fait ôter des fichiers toute trace qui permettrait de remonter à lui ou à un quelconque membre de son groupe virtuel de recherche. Il veut que tout reste anonyme, qu’il n’y ait aucun moyen de remonter à eux. Il s’invente un nom de chercheur, écrit une petite lettre introductive pour résumer la situation, fait rerouter l’ensemble par une petite université de Finlande : impossible de remonter à lui. Il fait une sauvegarde de tous ses enregistrement sur un disque amovible puis, pour détruire toute miette d’information qui pourrait le trahir, reformate le disque de sa machine, recharge ses logiciels de travail. Le titre de sa thèse s’impose soudain à lui, ce sera : “Orion aveugle”. Il a envie d’en rédiger la conclusion, se met au travail :

“Il est bien rare qu’un seul niveau d’explication suffise à rendre compte des phénomènes sociaux complexes. Tout fait, même le plus simple en apparence, est tissé dans un réseau de causes et de conséquences complexes qui, pour son explication, demandent à être démêlés. Dans l’espace immatériel du réseau, l’homme, animal symbolique, n’est plus en contact direct avec la réalité, ne la voit plus face à face. Au lieu d’avoir continûment affaire aux choses qui par leur matérialité le démentent et l’obligent à évoluer, il ne se trouve plus, au risque d’y perdre ses repères, qu’en dialogue constant avec lui-même. À la limite, il n’a aucune conscience de l’altérité, l’autre lui semble un double de lui-même…”

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