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Écrits de Marc Hodges
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11 mai 2013

l'enfance de Wilfrid

La vie de Wilfrid a toujours été des plus décousues. Orphelin, il a passé les cinq premières années de sa vie dans un orphelinat dont il ne conserve aucun souvenir. Il sait seulement, parce que cela lui a été rapporté plus tard, qu’il s’était accroché à une espèce de petit lapin de peluche aux grandes oreilles comme s’il était la bouée qui lui permettait de surnager. Adopté, à la fin de sa sixième année, par une famille de boutiquiers de Voulx, petite commune de Seine-et-Marne, qui voulant une descendance pour transmettre la boutique de passementerie qui constituait un patrimoine construit sou à sou était incapable de se rendre compte que le monde commercial changeait rapidement et que ce «bien» ne représenterait plus rien lorsqu’ils cesseraient toute activité et se retireraient à Dieu-l’amant, dans le Gâtinais bourguignon, d’où elle était originaire. À leur grande déception, Wilfrid ne marqua jamais aucune attirance pour l’univers des boutons, rubans, filets, galons, ganses de rideaux, résilles, torsades, glands — plus ou moins dorés — épaulettes, paillettes, broderies d’or ou d’argent, fils de soie, de coton, de laine, pas plus pour l’ornement des dames que pour celui des ecclésiastiques. Même les ornements militaires le laissaient dans une indifférence absolue. Il s’ennuya toute son enfance jusqu’à ce que, par hasard, dans une foire à la brocante où, à la recherche de broderies d’occasion, sa mère adoptive l’avait entrainé, il tombe par hasard sur un vieil ouvrage défraichi, déchiré et dont plusieurs pages se décollaient. Le brocanteur, voulant faire plaisir à sa cliente en satisfaisant un caprice de gamin, le lui offrit: «Dis merci à Monsieur Lepontel !», «Merci Monsieur Dupontel» et il emporta l’ouvrage. Ce livre s’intitulait «Le grand Albert». Wilfrid, qui n’avait alors que dix ans et ne manifestait aucun plaisir particulier à la lecture, aurait été incapable d’expliquer pourquoi cet ouvrage avait pour lui un tel attrait mais, dès qu’il l’ouvrit, il sut qu’il avait découvert là matière à enrichir une vie qu’il trouvait bien monotone. Il se mit à essayer diverses des recettes de sorcellerie indiquées dans le livre et, fort de quelques succès qui devaient certainement beaucoup plus au hasard qu’à son œuvre, fut persuadé qu’il était capable de maîtriser le monde dont, enfermé au premier étage de la boutique de ses parents adoptifs, il ne connaissait pourtant rien car s’il allait bien à l’école, son origine, ses bizarreries, son inintelligence, son incompréhension des finalités scolaires, celle-ci ne lui apportait rien. Il aurait pu peut-être s’y faire quelques camarades si ses parents, craignant des comparaisons et des influences — bonnes ou mauvaises — n’en décourageait toute tentative. À douze ans, Wilfrid n’avait comme compagnon que le Grand Albert et ne connaissait du monde que ce que celui-ci en rapportait. On se doute que cela ne renforçait pas, loin de là, son intégration. L’année des ses douze ans, il fit sa première fugue.

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