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Écrits de Marc Hodges
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3 mai 2013

tentations

Mes réunions à Nîmes, aujourd’hui, n’ont pas été très efficaces, toute la journée j’ai pensé à Didier Dourraboue: à son visage durci et tanné d’ancien taulard devenu jardinier en Lozère, je superposais l’image du jeune homme sportif, fin, élégant, racé même que j’avais connu il y a près de vingt ans et je revoyais tous ceux qui se sont détruits comme lui… Notre génération est celle de 1981, il nous semblait que s’ouvrait une nouvelle époque, nous sortions d’écoles prestigieuses, l’avenir se donnait à nous: l’accession tant attendue de la gauche au pouvoir offrait des opportunités exceptionnelles. Parce qu’elle manquait de cadres sur lesquels s’appuyer, la République nous accueillait à bras ouverts… Nous pensions que nous étions intelligents, que nous formions une élite intellectuelle, que nous raisonnions juste, nous n’étions pas loin de nous croire tout possible: frustrée de 68 notre génération allait prendre sa revanche sur l’histoire; grâce à nos compétences, nous allions racheter toutes les maladresses, le folklore désordonné, l’inefficacité, la désorganisation festive de ce mois de mai mythique. Nos aînés avaient bousculé quelques archaïsmes, inoculé de la poésie dans la vie sociale, par leur lyrisme utopique, avaient fait rêver leurs contemporains, puis les avaient abandonnés à la vacuité de leurs illusions. Nous préférions, par une gestion habile et inventive, construire; nous avions l’ambition, sans tragédies ni commotions, de moderniser la France, réaliser notre propre modèle de société. Nous voulions exister dans l’Histoire. Nous avions le pouvoir et l’intention de nous en servir, montrer ce que nous savions faire…
Comment vous dire, à vingt quatre ans on a peu d’expérience, les tentations sont d’autant plus subtiles que l’on est sûr de les dominer mais même si le pouvoir est hallucinatoire, les faits imposent leurs évidences: nous n’avons pas su prévoir les tragédies qui se dessinaient… Entre amis plus ou moins proches, ou même entre amis d’amis, une invitation en Indonésie, la mise à disposition temporaire d’un appartement, le prêt d’une voiture de sport, un week-end à New York en Concorde, des invitations dans des restaurants luxueux, sont autant d’obligeances spontanées jamais senties comme de la corruption… Robertelli, Dourraboue, Mayeranoff, d’autres que nous connaissions de plus ou moins près, ont ainsi cédé aux violences du politique, en ont enduré les enchaînements les plus lourds. Certains le payèrent au prix fort, quelques uns purent rebondir, d’autres furent anéantis.
Journée sinistre, même la maison carrée de Nîmes n’a pu me sortir de ma morosité. J’ai besoin de certitudes, ma famille soudain m’a manqué… J’ai repris l’avion en fin de journée; ma femme n’a pas compris mon inhabituel besoin de tendresse.

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