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Écrits de Marc Hodges
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20 mars 2013

la situation se dégrade

DesVisages_petit

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Si, depuis des années, la population passait devant les écrans géants placés à tous les carrefours qui lui montraient en temps réel le Visage de leur Reine, l’annonce de sa mort changea soudain la nature de leur curiosité et, dans les mêmes proportions, leur rapport au temps. Désormais, sur le Visage, ils cherchaient avec une inquiétude certaine des signes la confirmant: les quotidiens spécialisés dans son observation s’intéressaient moins aux indications qu’ils pouvaient mettre en relation avec des faits, plus ou moins divers, survenus sur le territoire, qu’aux marques qui leur paraissaient plus internes. Peu à peu, le Visage de la Reine devenait son propre territoire et tout ce que ses sujets y lisaient ne concernait plus qu’elle. On signalait par exemple que, tel jour de telle heure à telle heure, un certain nombre d’observateurs avaient cru remarquer un léger ternissement passager de la nacre du front ou, qu’à un autre moment, il leur avait semblé que les lèvres étaient tombées un instant donnant au Visage un soupçon d’amertume. Certains prétendaient que le visage vieillissait de façon imperceptible mais continu ; d’autres qu’il n’en était rien. Les impressions humaines ne sont rien si aucun fait ne les étaie aussi l’observation précise du Visage de la Reine devint rapidement l’activité principale des citoyens. Peu à peu, la date de sa mort devint un point fixe dans l’esprit des habitants et toute autre activité fut négligée.  Dans le Visage de la Reine, on ne lisait plus la vie de la cité mais seulement la mort possible de la Souveraine. Pourtant, si les changements qui pouvaient se lire sur son visage restaient de l’ordre de la spéculation, ceux qui se produisaient sur le Territoire étaient de plus en plus visibles, de moins en moins contestables. Leur amour pour leur Reine, leur inquiétude, le temps qu’ils passaient à scruter son Visage et à discuter de ce qu’ils croyaient voir leur prenait une part de plus en plus importante de leurs journées, tout devenait présage: un léger frémissement des paupières, un mouvement imperceptible des lèvres, un léger changement de direction du regard devaient nécessairement émettre un message. L’amour excessif coupe les jambes, peu à peu divers signes de dégradation apparurent sur le territoire. Cela commença par l’entretien des routes et des espaces verts, puis quelques ascenseurs tombèrent en panne, des gouttières apparurent ça et là, quelques façades commencèrent à s’écailler. Rien de bien important cependant, mais il devint bientôt évident que la mort de la Reine, plus que sur son visage, provoquait celle des territoires mêmes que ce Visage devait protéger. Les interrogations se portèrent alors sur la date: que désignait exactement le 6 juin 2013 ? Quelle était la minute de la mort annoncée, la seconde, le centième de seconde? Sommés de donner une réponse précise, les manciens se remirent au travail: les aleuromanciens refirent leurs dessins de farine, les alopéciens recommencèrent à ramasser des cheveux, les cromniomanciens à observer leurs pelures d’oignons; seul le jeune abacomancien se taisait… Mais les résultats annoncés ne correspondaient jamais, certains avaient la certitude que la mort se produiraient à la sixième seconde de la sixième minute, d’autres à la douzième seconde de cette même minute, d’autres à la trentième minute douzième seconde… Certains mêmes allaient jusqu’au centième de seconde. Bref ce fut une véritable cacophonie et neuf jours avant la date annoncée le peuple était dans l’incertitude; donc dans l’angoisse. Tout allait à vau l’eau, les trains étaient arrêté, les bus ne circulaient que de façon irrégulière, les avions se trompaient de destination, le pain était trop cuit ou trop cru. Un peuple sans direction est un peuple perdu. Il fallait prendre une décision or il était délicat de demander son avis à la Reine. Le Conseil des Ministres se réunit exceptionnellement. Dans sa grande sagesse, il décréta que puisque la date de la mort de la Reine était certaine, peu importait l’heure exacte, et, contraint par la réalité, promulgua dans le même mouvement six jours de deuil national chômés. Il n’y avait plus qu’à attendre. Ce qui fut fait.

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