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Écrits de Marc Hodges
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6 mars 2013

retour au village

Soudain, à quelques dizaines de centimètres sur ma droite, une vague silhouette de croix. Je crie, la montre aux autres, nous nous en rapprochons : une croix de pierre, une de ces multiples croix que les paysans, conciliant piété et sens pratique, plantaient autrefois aux carrefours des chemins. Celle-ci est particulière, certainement très ancienne, portant sculptés sur son socle d’étranges personnages. Nous la connaissons bien. On l’appelle la “croix des buses”. Elle se trouve normalement sur un chemin qui conduit aux marais. Nous sommes perdus, nous ne sommes pas là où nous croyons, mais plus au sud : nous avons dépassé le chemin du village, mais celui-ci ne devrait pas être loin, cinq cent mètres maximum, sans le voir nous avons dû passer tout près… S’il ne neigeait pas tant, il nous suffirait de suivre le chemin de terre pour revenir vers l’entrée du village, mais il ne faut pas y compter, la neige nivelle tout, le chemin a été effacé comme par une gomme… Il nous faut faire demi-tour. Impossible de discuter, dès que nous ouvrons la bouche, la poussière de neige nous glace, par signes, nous nous efforçons de trouver un moyen de ne pas perdre à nouveau notre route. Avancer légèrement vers la droite, compter noss pas. Le vent soufflera dans notre dos. La marche sera moins pénible. Nous avons l’habitude, dans nos jeux, de nous servir de nos pas pour étalonner des distances : un pas, un mètre… Dans trois cents, quatre cent pas, nous aurons trouvé le village… Ou il nous faudra envisager autre chose.

Nous avons froid, nos yeux nous piquent, à l’emplacement de nos bouches la laine se couvre de petits glaçons, nous avançon. Soigneusement accrochés les uns aux autres, mains tendues devant nous, fermant parfois les yeux pour les reposer des piqures de neige car de toutes façons la vue ne nous sert presque à rien ; nous préférons nous concentrer sur nos pieds, nos mains, nos comptes. Au bout de deux cents quatre-vingt pas, nous rouvrons les yeux, espérant, dans cette blancheur étale où terre, ciel et espace s’annihilent dans une pureté néfaste, capter une ombre quelconque, une silhouette de maison, une fumée. Mais rien. Soudain un son nous parvient, un son sourd, lourd comme un glas, profond, lent : la cloche de tourmente. Nous nous dirigeons péniblement vers lui. Avançons lentement, pas à pas, nos raquettes devenues lourdes s’enfonçant de plus en plus profond dans la neige. Soudain, René Bonnal qui est en tête pousse un cri, ses mains ont rencontré une surface de pierre gelée : un mur. Sauvé… sur plusieurs kilomètres, pas d’autres murs que ceux du village. Il nous suffit de le longer en gardant la direction du son. C’est le mur du cimetière dont nous rencontrons bientôt la grille de fer rouillée qui nous mène à l’unique rue du village, la prendre sur la droite. L’école est à une vingtaine de mètres, en haut d’un pré qu’indique une descente pierreuse. Nous ne pouvons plus nous perdre. Un immense soulagement s’empare de nous. Ma mère regarde à travers les vitres de la fenêtre, anxieuse, dès qu’elle aperçoit nos silhouettes, elle sort, se précipite, nous fait rentrer dans la chaleur de la salle de classe où le poêle, en ce jour de congé, a été exceptionnellement allumé. Nos mères sont là, elles nous attendent toutes. Ma mère monte à l’étage dire à mon père que le cloche de tourmente n’est plus utile. Il descend.

Nous nous attendons au pire.

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